Olivier Père

Bad Lieutenant de Abel Ferrara

Bad Lieutenant (1992) est un titre important dans l’œuvre d’Abel Ferrara. Le film constitue un véritable pivot entre les polars urbains de ses débuts et le basculement métaphysique et religieux qui suivra. C’est aussi le début d’une reconnaissance critique tardive, et sa première sélection à Cannes, dans la section Un certain regard. Ferrara deviendra ensuite un habitué du festival, jusqu’à Go Go Tales et le début d’une période de disgrâce qui semble aujourd’hui révolue.

Bad Lieutenant, défini comme le film new yorkais ultime par Scorsese en personne, résume l’art d’Abel Ferrara : un cinéma physique et hanté, allégorique et concret, en totale empathie avec ses personnages plus grands (jusque dans la bassesse) que nature. Le mauvais lieutenant, flic pourri qui charrie toutes les tares de la ville pour finalement trouver la rédemption, demeure la création la plus originale de Ferrara et de son interprète. Harvey Keitel, magnifique, trouve ici, la même année que Reservoir Dogs de Tarantino, le rôle de sa vie. Cette descente aux enfers rappelle le courage – ou l’inconscience – de deux hommes, embarqués dans une aventure cinématographique dangereuse. L’acteur n’hésitera pas à s’exposer dans des états extrêmes, nu, possédé, sous l’emprise de l’alcool, ni à consommer des drogues dures devant la caméra de Ferrara. Bad Lieutenant doit beaucoup à Zoë Lund, scénariste du film qui remplace l’habituel Nicholas St. John, en désaccord avec le contenu blasphématoire du projet. Lund, sous son nom de jeune fille Tamerlis, interpréta l’ange de la vengeance du film éponyme de Ferrara, à l’âge de 19 ans. Zoë Lund, qui apparait dans une scène mémorable de défonce avec Keitel, est la véritable co-auteure de Bad Lieutenant. C’est elle qui a insufflé au film sa radicalité, et au flic sans nom sa violence autodestructrice. Devenue écrivaine et essayiste, elle est morte à Paris des suites de son addiction à l’héroïne, sept ans après la sortie de Bad Lieutenant.

Réédition en salles le mercredi 8 janvier, avec quatre autres films de la dernière période de Ferrara (New Rose Hotel, 4h44 Dernier jour sur terre, Go Go Tales, Pasolini), pour accompagner la sortie de son nouvel opus, le très réussi – et autobiographique – Tommaso (2019) avec Willem Dafoe en alter ego du cinéaste new yorkais installé avec femme et enfant à Rome. Distribution Les Bookmakers / Capricci Films.

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