Olivier Père

Mutations de Jack Cardiff

Le cinéma d’horreur anglais, à l’instar de son homologue transalpin, n’a pas été avare en productions étranges, ignorantes du bon sens et du bon goût. Parmi les nombreux films fauchés hantés par des créatures monstrueuses qui envahirent dans les années 70 les écrans britanniques, versions dégradées des mythes du cinéma fantastique, Mutations (The Mutations ou The Freakmaker, 1974) occupe une place de choix. Cette aberration cinématographique emprunte à deux classiques du genre : L’île du docteur Moreau de Erle C. Kenton, avec un savant fou qui se livre à des expériences peu ragoûtantes de greffes entre des plantes et des cobayes humains, et Freaks de Tod Browning, avec la description d’une communauté itinérante de nains et de phénomènes de foire. Jack Cardiff fut l’un des plus grands directeurs de la photographie de l’histoire du cinéma, travaillant d’abord pour les studios anglais puis à Hollywood. Son travail d’opérateur reste étroitement lié au procédé Technicolor, qu’il poussa à un formidable degré de poésie et de beauté lors de ses collaborations avec Powell et Pressburger, Hitchcock, Lewin ou Mankiewicz. Sa carrière de cinéaste, amorcée à la fin des années 50, est plus déconcertante. Oscillant entre le bon et le médiocre, les longs métrages signés par Cardiff sont pour la plupart des commandes impersonnelles, motivées par des choix hasardeux ou opportunistes. Mutations restera le dernier film mis en scène par Cardiff. Ce n’est pas le tournage où il s’est le plus appliqué. L’esthétique sale et triviale du film cadre mal avec le talent de celui qui signa les images des Chaussons rouges ou du Narcisse noir. Il s’agit sans doute d’un contrat purement alimentaire, dont le résultat et la réception convaincront sans doute le cinéaste à stopper les dégâts et à se concentrer sur sa carrière de chef-opérateur, en œuvrant sur des grosses productions internationales, beaucoup plus prestigieuses et lucratives. On peut imaginer le désarroi ou l’indifférence de Cardiff, qui avait éclairé autrefois les plus belles actrices du monde (Ava Gardner, Marilyn Monroe, Audrey Hepburn, Deborah Kerr) dans de somptueux écrins en Technicolor, contraint de mettre en boîte Michael Dunn dans son dernier rôle, Tom Baker défiguré et des monstres végétaux en caoutchouc dans une ambiance de « slasher » médical poisseux. Il faut bien admettre que si un auteur se cache derrière un projet aussi absurde que Mutations, c’est son producteur Robert D. Weinbach plutôt que Jack Cardiff, simple exécutant. Weinbach est un Américain qui s’est installé en Europe pour s’y spécialiser dans le cinéma d’exploitation. Parmi les quelques films à petit budget entrepris en Espagne ou en Grande-Bretagne par Weinbach figure ce Mutations dans lequel cet amoureux sincère du cinéma fantastique désire rendre hommage à Freaks en écrivant un scénario de science-fiction qui emprunte plusieurs séquences au chef-d’œuvre de Tod Browning. Des acteurs nains et plusieurs hommes et femmes atteints de malformations ou de particularités physiques impressionnantes sont engagés pour s’y exhiber dans un simulacre de spectacle forain offert aux spectateurs. Le problème, c’est que Cardiff confessa plus tard n’avoir jamais vu Freaks et qu’il met en scène ces acteurs particuliers de manière fort maladroite, dans des situations à la limite du voyeurisme. La véritable étrangeté de Mutations réside dans ce mélange de véracité et le recours à des effets spéciaux délirants pour représenter les monstres de laboratoire agressifs, fruits du mélange d’êtres humains et de plantes carnivores. Cela transforme le film en objet hybride, profondément malsain et dérangeant, qui a bien mérité sa réputation de série Z malade.

Mutations est disponible pour la première fois en France dans un combo DVD et blu-ray, édité par Rimini.

 

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