Disparu prématurément en 2010 à l’âge de 46 ans, après avoir réalisé quatre longs métrages, Satoshi Kon n’était pas seulement un génie de l’animation nippone. C’était un grand cinéaste tout court. Si les cinémas asiatique et américain cherchent de plus en plus leur inspiration visuelle dans l’animation, Satochi Kon, de toute évidence cinéphile dans le sens « classique » du terme, semblait concevoir ses dessins animés comme des films en prises de vues traditionnelles, sans effets spéciaux et avec de vrais acteurs. Si Hayao Miyazaki est un grand artiste visionnaire, à l’instar de Kurosawa ou Fellini, son univers est indissociable des techniques et des possibilités de l’animation, prolongement pictural du cinéma qui repousse les limites du rêve et de l’imagination. Cette constatation s’applique également aux meilleurs films de science-fiction japonais qui ont depuis longtemps délaissé les prises de vues réelles au profit du dessin puis des images de synthèse. Satoshi Kon procédait au mouvement inverse. Chez lui, le réalisme du style ouvrait des perspectives infinies, des odyssées mentales.
Le second film de Satoshi Kon après le génial thriller conceptuel Perfect Blue (1997), Millenium Actress (Sennen joyû, 2001) est encore meilleur et prolonge le précédent. Deux journalistes de la télévision, dont un ancien assistant de studio, vont interviewer une vieille dame qui fut une grande vedette du cinéma et vit désormais recluse. L’entretien nous permet de revivre à la fois l’histoire du siècle, la guerre, les différentes périodes du cinéma japonais, et le destin professionnel et privé de l’actrice. Le fil d’or qui relie ces retours en arrière est une clé confiée par un mystérieux inconnu que la jeune femme aimera et poursuivra toute sa vie après une unique et brève rencontre. Perfect Blue était un polar horrifique, Millenium Actress un mélodrame, mais les deux films partagent la même ambition et la même idée du cinéma, follement inventive, riche et ambitieuse, le désir aussi de parler en même temps de la société du spectacle, de la confusion des sens et des sentiments. Satoshi Kon mêle l’histoire du Japon et de son cinéma, les extraits de films et la biographie de son héroïne avec une virtuosité qui doit tout au montage et rien aux possibilités spécifiques de l’animation. Les deux reporters s’incrustent dans le voyage dans le temps, en témoin muets puis en commentateurs et enfin participent à l’action. On pense à Alain Resnais et à Un jour sans fin. La dimension conceptuelle du film précédent demeure, mais elle s’enrichit d’une émotion à fleur de peau. L’angoisse de la sexualité cède la place à la projection amoureuse, l’horreur à la désillusion, mais Satoshi Kon s’intéresse toujours autant à la psychologie féminine (le but de la vie de son héroïne n’est pas de trouver son amant rêvé, mais d’être sans cesse à sa recherche), au rôle et à la situation aliénante de la femme dans la société japonaise.
Pour de fallacieuses histoires de droits de remake achetés par un studio américain, Millenium Actress avait dû se contenter en dehors du Japon d’une tardive distribution vidéo. Édité en DVD, mais jusqu’ici inédit dans les salles françaises, Millennium Actress est enfin visible sur grand écran comme il le mérite, en version restaurée 4K, grâce à Septiem Factory. On espère que le même miracle se produira bientôt au sujet du troisième film de Satoshi Kon, le chef-d’œuvre humaniste Tokyo Godfathers (2003), relecture animée et tokyoïte du Fils du désert (Three Godfathers) de John Ford.
Sortie mercredi 18 décembre, distribué par Septiem Factory.
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