ARTE diffuse Sieranevada (2016) de Cristi Puiu mercredi 2 octobre à 23h35. Le film sera également disponible gratuitement pendant sept jours en télévision de rattrapage sur ARTE.tv. Avec son premier film Le Matos et la Thune (2001) Cristi Puiu a inauguré le regain d’intérêt progressif et désormais tenace des festivals et de la critique internationale pour le cinéma roumain, tombé en désuétude passé l’heure de gloire de Lucian Pintilie. Puiu s’est ensuite imposé en chef de file et mentor d’une nouvelle génération de cinéastes roumains surdoués avec La Mort de Dante Lazarescu, magistral opus qui allait instaurée, jusqu’à aujourd’hui, quelques règles d’or qui font la force d’une cinématographie marquée par une puissance narrative et formelle sans égal, une gestion radicale de l’espace et du temps. Ce n’est pas Sieranevada qui va contredire l’adage selon lequel le grand sujet du cinéma roumain c’est la Roumanie elle-même, et plus précisément son ère communiste, un passé qui ne passe pas et continue d’alimenter fictions, histoires, récits, réflexions, entre burlesque et tragédie.
Sieranevada raconte une réunion familiale censée commémorer l’anniversaire de la disparition du patriarche. Mais cela dégénère très vite et disputes, règlements de comptes et incidents divers ne cesse de différer le début du dîner, si bien que la famille aura bien du mal à passer à table au bout de 2h53 de projection.
Le tour de force de Puiu est de faire entrer l’Histoire mais aussi le monde, bien au-delà des frontières roumaines, dans un appartement typique de la moyenne bourgeoisie de Bucarest, captant un enchaînement frénétique de conversations en plan-séquence et point de vue unique, la caméra panotant d’une pièce à l’autre, mystérieusement bloquée dans le couloir de l’entrée, où s’installant dans le salon parmi les convives. Cet œil observateur, c’est à la fois celui de Puiu et du père mort, tellement absent que tous les membres de la famille, obnubilés par leurs névroses et leur aliénation, semblent l’oublier malgré le rituel commémoratif. C’est peut-être le deux à la fois puisque Puiu, qui s’est inspiré de sa propre expérience de deuil, semble se confondre avec le mort, observateur silencieux qui entreprend patiemment de recoller les morceaux et cherche une compréhension globale du monde dans lequel nous vivons. Cette ambition philosophique est sans réel équivalent dans le cinéma contemporain. L’écriture cinématographique de Puiu, son projet de cinéaste sont comparables à l’œuvre des grands écrivains russes ou de Balzac. Rien de moins. Chez Puiu le roman sociétal et familial débouche sur une réflexion métaphysique sur les idées, le sens de la vie et la place de l’homme dans l’Histoire. Tout ça dans un film qui débute par une engueulade en voiture entre un homme et sa femme à cause de courses ratées et se termine par des rires nerveux entre frères autour de choux farcis.
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