Olivier Père

L’Ange de la vengeance de Abel Ferrara

En 1981, L’Ange de la vengeance révéla à ceux qui surent le voir un grand cinéaste de la violence mais aussi de l’amour. Victime de deux agressions sexuelles dans la même soirée, une jeune fille muette devient folle et se transforme en ange exterminateur qui tue sans sommation violeurs, voyous et dragueurs croisés sur son chemin. Abel Ferrara part d’un matériau particulièrement trivial (le film d’autodéfense et le « Rape and Revenge », sous-genres à la mode à l’époque depuis le succès d’Un justicier dans la ville avec Charles Bronson) pour accoucher d’un poème urbain baroque, entre hyperréalisme sordide et cauchemar fantastique. Certes, L’Ange de la vengeance ne fut pas le premier film à inverser les rôles et les sexes du traditionnel film de vengeance en transformant la proie en prédatrice, la frêle victime en justicière. Mais le discours agressif, la forme radicale et le ton désespéré en firent un manifeste ultime, un signe de ralliement en forme de mot de passe (Ms. 45, titre original) moins pour les féministes que pour les cinéphiles. Deuxième film « officiel » de Ferrara après le déjanté Driller KillerL’Ange de la vengeance est comme le précédent brouillon du cinéaste un condensé précoce de toutes les qualités et obsessions du futur auteur de The King of New York et Bad Lieutenant. On peut déjà parler de chef-d’œuvre. Il suffit de comparer L’Ange de la vengeance avec les autres films de genre new yorkais du début des années 80 pour vérifier la singularité du jeune Ferrara, déjà identifiable en rebelle rock et mystique. L’Ange de la vengeance possède la nervosité et la sécheresse des meilleures séries B américaines de Samuel Fuller. Il s’inscrit également dans la tendance des films d’exploitation gore de la 42ème rue, baignant dans une atmosphère sordide comme Maniac de William Lustig. De manière plus excentrique, le film est également une adaptation du cinéma de poésie prôné par Pasolini dans l’espace du film d’horreur américain. Il y a dans le film des geysers de sang et des corps suppliciés, mais il y a surtout des torrents d’amour et de compassion. Ferrara filme la violence, mais s’intéresse à la souffrance. Jamais l’empathie de Ferrara pour son personnage principal n’a été aussi tangible. Le cinéaste n’abandonne jamais son héroïne (mythique Zoe Tamerlis, plus tard scénariste de Bad Lieutenant sous son vrai nom Zoe Lund), la magnifie jusqu’à son martyre final, lors d’un bal masqué apocalyptique où, déguisé en religieuse, elle se livre à un sublime carnage au ralenti digne de ses modèles, les fusillades sanglantes de Taxi Driver et La Horde sauvage. Certaines scènes évoquent déjà Pasolini et Buñuel, et ce film passé relativement inaperçu au moment de sa sortie (du moins auprès de la critique), malgré un certain succès international, aurait suffi à inscrire Ferrara au rang des plus passionnants auteurs du cinéma américain.

 

L’Ange de la vengeance est enfin disponible en France en blu-ray, dans une belle édition collector proposée par ESC. D’autres titres de la première moitié de la filmographie de Ferrara (New York, deux heures du matin, China Girl) devraient suivre chez le même éditeur.

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