La Nuit des masques (Halloween, 1978) appartient à un second âge d’or du cinéma fantastique américain, situé dans les années 70. Au cours de cette décennie des jeunes cinéastes américains, partiellement ou marginalement assimilés au « Nouvel Hollywood », ont révolutionné le film d’horreur par un surcroit de réalisme, un héritage ludique de la contre-culture et des emprunts à la modernité cinématographique qui viennent rompre l’acceptation classique du récit et du personnage. La Nuit des masques, troisième long métrage de John Carpenter après Dark Star et Assaut, est une production indépendante qui remporta un énorme succès commercial au moment de sa sortie, et lança la mode du « slasher », sous-genre horrifique dans lequel des adolescents sont éliminés à l’arme blanche par un tueur masqué. Le film s’intéresse à la figure (ou plutôt son absence angoissante) du tueur en série, cernant la terreur moderne de la répétition et du vide par l’assimilation de formes anciennes de superstition. A l’image du croquemitaine des contes pour enfants vient se superposer celle du criminel psychopathe, dont la négation du visage par un masque blanc aux traits effacés et la silhouette aux déplacements mécaniques soulignent l’inhumanité. Michael Myers est une tentative de représentation du Mal à l’état pur. Insensible à la douleur, apparemment indestructible, il ne manifeste pas la moindre émotion. Ombre menaçante qui observe et suit longuement ses proies avant de les tuer machinalement, Michael Myers ne s’éloigne que de brefs instants de son programme méthodique de mises à mort : lorsqu’il observe avec étonnement le corps qu’il vient de fixer à un mur avec son couteau, ou quand il organise une décoration macabre en plaçant la stèle de la tombe de sa sœur sur le lit d’une de ses victimes. Michael Myers se rêve alors en metteur en scène, mais ses réalisations sont celles d’un animal cruel mêlé à un enfant pervers de six ans, âge auquel il commit son premier meurtre.
Au-delà de cette invention maléfique, Carpenter se révèle maître de l’espace et du temps. Il met en scène des lieux quotidiens rendus inquiétants par l’emploi de l’écran large – Carpenter fait un brillant usage du format Panavision – et procède à une forme de désertification urbaine.
Un lotissement pavillonnaire cossu, typique d’une petite ville américaine sans histoire, devient le théâtre de meurtres brutaux commis par un croquemitaine fantomatique. Carpenter concentre le récit sur quelques pâtés de maisons et se montre brillant topographe du suspens. Avant la nuit fatale d’Halloween, le réalisateur organise une chorégraphie de déplacements au cours desquels des adolescentes arpentent des espaces quotidiens selon des itinéraires immuables, typiques d’une Amérique blanche à la fois rassurante et ennuyeuse. Le regard du tueur, fréquemment signifié en caméra subjective, vient jeter l’effroi sur la paisible banlieue et le spectateur. Carpenter et son directeur de la photographie Dean Cundey désignent par les mouvements de caméra ou des cadres très larges une présence hors-champ, ou furtivement aperçue, tache sombre et diffuse prompte à disparaître au milieu du vide.
Les scènes centrales sont situées dans deux villas voisines et identiques situées l’une en face de l’autre. Cette symétrie renforce l’anonymat et la banalité d’un décor visité de manière indifférenciée par une force aveugle et destructrice. Elle instaure aussi une tension dramatique puisque l’héroïne est d’abord témoin auditif du meurtre de son amie avant de comprendre que Michael Myers lui réserve le même sort.
L’épilogue abrupt du film offre une succession de plans fixes désertés de la présence humaine, décors vides de maisons ou de rues désormais hantés à jamais par la présence de Michael Myers, contaminés par le Mal.
La Nuit des masques est ressorti en salles le mercredi 24 octobre, en version restaurée, distribué par Splendor Films.
A noter que le mercredi 5 décembre (dans le cadre du PIFF – Paris International Fantastic Film Festival) on pourra revoir au Max Linder, à 16h30, Halloween 3 : le sang du sorcier (1983) de Tommy Lee Wallace, premier film de ce proche collaborateur de Carpenter au début de sa carrière – il fut notamment monteur de La Nuit des masques et de Fog.
C’est le seul film de la saga Halloween qui n’a rien à voir avec Michael Myers ou les autres personnages imaginés par Carpenter et Debra Hill, et dont le scénario opte pour une orientation particulièrement originale. Victime d’un échec aussi total qu’injuste au moment de sa sortie, ce film est une véritable pépite du cinéma fantastique américain des années 80, à redécouvrir d’urgence.
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