Olivier Père

Tirez sur le pianiste de François Truffaut

Afin de rendre hommage à Charles Aznavour disparu le 1er octobre à l’âge de 94 ans, ARTE bouleverse sa programmation et diffuse Tirez sur le pianiste, réalisé par François Truffaut en 1960, le dimanche 7 octobre à 22h50. Le film sera également disponible gratuitement en télévision de rattrapage sur le site d’ARTE pendant sept jours.

C’est le deuxième et l’un des meilleurs longs métrages de Truffaut, le plus représentatif de la Nouvelle Vague avec ses audaces esthétiques et narratives, pas très éloignées de celles de A bout de souffle de Jean-Luc Godard réalisé la même année, qui tranchent avec la suite de la filmographie de l’auteur de Jules et Jim.

Un concertiste virtuose (Charles Aznavour), brisé par le suicide de sa femme, a changé de vie et d’identité et est devenu pianiste de bar. Un soir son destin le rattrape lorsqu’il est mêlé à une affaire de vol par la faute de l’un de ses frères, un voyou poursuivi par deux anciens complices. L’amour que lui porte une jeune serveuse, Lena (Marie Dubois), le conduira accidentellement au meurtre. Le deuxième long métrage de François Truffaut, hommage au cinéma noir américain et bouleversante histoire d’amour et de mort, associe fondus enchaînés et images superposées – la photographie noir et blanc quasi expérimentale est signée Raoul Coutard, chef opérateur emblématique de la Nouvelle Vague – qui créent une atmosphère entre réalisme et fantaisie. Le style et le ton du film en font un titre unique dans l’œuvre de François Truffaut, qui part d’une histoire extravagante pour déboucher sur le lyrisme et le tragique, et pratique un étonnant mélange des genres, passant avec virtuosité de la drôlerie loufoque à l’émotion la plus poignante. Du propre aveu de Truffaut – qui détestait les films de gangsters – le projet de Tirez sur le pianiste visait à retranscrire le décalage poétique des traductions des « séries noires » américaines publiées chez Gallimard ou les versions doublées des séries B hollywoodiennes, sans volonté parodique mais au contraire avec l’idée de souligner les points communs entre différentes admirations du cinéaste, David Goodis dont il adaptait ici le roman, Jean Cocteau, Jacques Audiberti ou Raymond Queneau. Le film dresse le portrait d’un antihéros timide (excellent Charles Aznavour) entouré de personnages masculin louches ou pathétiques tous obsédés par les femmes : plusieurs monologues ont pour sujet l’attirance sexuelle, l’érotisme et la frustration. Tandis que ses truands parlent mal des femmes (Scorsese et surtout Tarantino se souviendront des dialogues digressifs et délirants de Tirez sur le pianiste) Truffaut les filme merveilleusement, et même spectaculairement, comme dans cette scène de lit où Charles Aznavour drape les seins somptueux de Michèle Mercier, « parce qu’on est au cinéma ». Les trois personnages féminins sont magnifiques, interprétés avec grâce et talent par Nicole Berger (Théresa, l’épouse d’Edouard dans le long flash-back), Michèle Mercier incroyablement sensuelle (la prostituée Melissa) et Marie Dubois, inoubliable dans le rôle de la blonde amante Lena, à la fois volontaire et pure, violente et virginale. C’était sa première apparition à l’écran.

Truffaut avait choisi Aznavour parce qu’il l’avait aimé dans le film de Georges Franju La Tête contre les murs (1959), le premier rôle important du jeune chanteur aux côtés de Jean-Pierre Mocky. Aznavour y interprétait un malade épileptique sensible et doux, qui échouait à s’échapper d’un asile psychiatrique au règlement inhumain. La même année, Mocky parvenait à monter son premier film en tant que réalisateur et engageait Aznavour pour jouer un dragueur timide, comparse de Jacques Charrier, dans Les Dragueurs.

La timidité, la fragilité, la séduction… c’est tout cela qui a séduit Truffaut chez Aznavour, au point d’en faire son double cinématographique dans Tirez sur le pianiste. Il existe même une certaine ressemblance physique entre les deux hommes. Ils sont de petite taille, angoissés, fébriles, mais aussi élégants et d’une volonté sans limite. Le réalisateur et le chanteur s’apprécient et ont très vite envie de travailler ensemble.

La Tête contre les murs, Les Dragueurs, Tirez sur le pianiste. Charles Aznavour aura donc trouvé ses meilleurs rôles au tout début des années 60, avec des cinéastes débutants. Le reste de sa carrière, avec le succès phénoménal de ses tournées à travers le monde, laissera moins de place au cinéma d’auteur. La plupart du temps, Aznavour se contentera d’apparitions dans des productions commerciales parfois improbables. Une exception : Les fantômes du chapelier de Claude Chabrol en 1982, d’après un roman de Simenon. Aznavour y est excellent dans la peau d’un tailleur d’origine arménienne dans une petite ville de province, confident terrifié d’un tueur de femmes interprété par Michel Serrault.

 

 

 

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