Olivier Père

Coincoin et les Z’inhumains de Bruno Dumont

On pouvait craindre, une fois l’effet de surprise dissipée, que la folle entreprise télévisuelle de Bruno Dumont et son P’tit Quinquin s’émousse lors de sa deuxième saison, intitulée Coincoin et les Z’inhumains. Il n’en est rien. Au-delà du plaisir patent qu’à Bruno Dumont de retrouver les interprètes de la série – les enfants sont à présent des adolescents, les deux flics n’ont pas bougé et sont toujours aussi allumés – et de les filmer désormais comme des acteurs ayant l’expérience de la caméra et la conscience de leur puissance d’incarnation, Coincoin et les Z’inhumains ne se contente pas de recycler le succès de P’tit Quinquin, coup de tonnerre dans la télévision française.

C’est moins le rire que cherche – et parvient – à déclencher Bruno Dumont mais la sidération. Coincoin et les Z’inhumains fonctionne selon le principe de répétition et de dédoublement. Les personnages répètent les mêmes phrases absurdes et les mêmes gestes désordonnés jusqu’au malaise, puis se dédoublent lorsqu’ils sont choisis par une force extraterrestre atterrie dans la campagne du Boulonnais sous la forme de bouses noires et malodorantes. On connait l’importance de la répétition dans l’art du gag et du burlesque. Mais Bruno Dumont ne limite pas la comédie à une mécanique bien huilée. Si sa mise en scène est toujours d’une précision millimétrée, avec un sens du cadre époustouflant qui n’appartient qu’à lui, Bruno Dumont sait aussi accueillir la diversité et la fantaisie que lui offrent ses acteurs, les extraordinaire Bernard Pruvost et Philippe Jore en tête. L’idiotie du monde se déploie dans Coincoin et les Z’inhumains. Dumont crée les conditions d’un gigantesque bug qui court-circuite toutes les habitudes et les conventions d’une série télé, bouscule son propre cinéma en s’aventurant sur le terrain des mythologies populaires (les body snatchers, les zombies). Comme un antidote au formatage, Dumont installe une esthétique du dérèglement au cœur du petit monde de Coincoin, ex Quinquin, bousculé par d’étranges événements. Ce ne sont pas seulement les extraterrestres qui débarquent, mais son amour d’enfance qui lui préfère une autre fille et des migrants africains qui arpentent les routes à la recherche d’un havre de paix, tandis que des prêtres amateurs de petits garçons et des nazillons d’un parti d’extrême droite se livrent à des manigances. Dumont injecte à sa manière les préoccupations et les changements très actuels de notre société sans se soucier du politiquement correct, en observant les réactions de stupeur, de rejet ou d’incompréhension de ses personnages devant les bouleversements de notre époque. C’est bien l’humanité toute entière – titre du deuxième long métrage de Dumont – que le cinéaste fait entrer dans le petit monde de Coincoin et du commissaire Van der Weyden. Il serait vain d’appréhender cette mini-série par l’angle des thématiques qu’elle aborde et même de son histoire, tant la mise en scène de Dumont et le génie de ses acteurs nous emportent très loin de tout ce qui peut généralement se faire la télévision – et même au cinéma – aujourd’hui. C’est peut-être ce qui relie Coincoin et les Z’inhumains et Twin Peaks: The Return de David Lynch, au-delà de certains points communs troublants : la liberté et la créativité sans limites d’un auteur qui est aussi un inventeur de formes, un expérimentateur travaillant au sein – mais dans les marges – d’un système commercial formaté.

 

Disponible gratuitement en télévision de rattrapage sur le site d’ARTE du 15 au 26 septembre.

En vente à partir du 20 septembre en DVD, Blu-ray et VOD chez ARTE éditions. Diffusion sur ARTE les jeudis 20 et 27 septembre à 20h55. 4 x 52 minutes. Deux épisodes par soirée.

Catégories : Actualités · Coproductions · Sur ARTE

3 commentaires

  1. Hannibal dit :

    Désolé, mais le 4°épisode gâche tout. On sent le scénariste incapable de trouver une fin burlesque – voire surréaliste. Quel dommage ! Il eut fallu, par exemple, avoir l’inspiration d’un Billy Wilder et de la géniale scène finale de « Certains l’aiment chaud ». .

  2. Lemaître dit :

    Désolé mais le 6ème épisode rattrape au contraire et qui plus est le 2ème dont la fin est plus pertinente que dans le premier volet du 3ème épisode avec Billy Wilder qui le préfère froid du fait même des circonstances non moins aggravantes mais tout aussi circonspectes que dans la huitième partie de la fête à Gravelines. On ressent tout de même les refroidisseurs de la centrale mais une mutation positive n’est pas à exclure, du grand, du très grand, voire un peu moins dans les coins mais qui s’en plaindra surtout s’ils se dédoublent ? Merci Jean-Jacques Annaud pour cette série magnifique et merci à TF2 de n’avoir pas censuré mon commentaire !

  3. Pierre B dit :

    Mini série réussie pour sa fraîcheur, son inventivité, ses personnages hauts en couleurs et attachants et les beaux paysages et villages de la région Hauts de France. On peut regretter certaines longueurs dans le scénario. La fin est originale et laisse entrevoir un monde où peuvent finalement cohabiter toute une diversité d’êtres, humains et z’inhumains. Mais pourquoi avoir abandonné le nom de P’tit Quinquin ?

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