Olivier Père

The Servant de Joseph Losey

ARTE diffuse The Servant (1963) de Joseph Losey lundi 27 août à 23h05. Ce film marque une sorte de consécration pour Losey, cinéaste américain exilé en 1952 en Europe à cause du maccarthysme. Les dix premières années de sa seconde carrière en Grande-Bretagne furent jalonnées par quelques grandes réussites, et des échecs aussi. The Servant connaîtra un succès international et va apporter gloire et célébrité à son auteur. The Servant développe et approfondit les thèmes abordés par Losey dans son film précédent Eva, qui connut une production et une réception tumultueuses. Davantage qu’un brouillon, on peut voir dans Eva une version plus sentimentale et lyrique de The Servant, qui se caractérise par son approche clinique. La froideur du film n’exclut pas un certain baroquisme de la mise en scène, caractérisée par l’utilisation des miroirs et l’importance accordée à un décor clos et labyrinthique en forme de spirale. Il est question dans The Servant de vampirisation, de destruction physique et morale d’un homme et de rapports de soumission et de domination entre deux êtres n’appartenant pas à la même classe sociale. Tandis que Eva envisageait ces thèmes sous l’angle de la passion amoureuse et sensuelle, The Servant les étudie dans le cadre des relations entre un maître et son domestique. Dès le premier plan qui les réunit, au début du film, alors que l’appartement est encore en travaux, Losey inverse le rapport maître-esclave en situant le valet en position de supériorité devant son futur patron, avachi et endormi dans une chaise longue. Ce plan contient en lui tout le film, et annonce le déroulement d’un film qui programme la lente annihilation de la volonté d’un jeune bourgeois oisif et médiocre, pris au piège d’un domestique bien décidé à le soumettre et à l’humilier dans sa propre demeure. Deux femmes gravitent autour des deux hommes (la fiancée du bourgeois et la soi-disant sœur du valet, en réalisé sa maîtresse), tour à tour instruments et victimes du domestique, mais le film se concentre sur la naissance d’un couple masculin sadomasochiste. L’homosexualité n’est pas le sujet du film, mais son inévitable conclusion. Dans l’appartement prison d’un quartier chic de Londres, c’est bien entendu toute la violence sociale et politique de l’Angleterre puritaine et de ses castes, sa perversité dissimulée sous les bonnes manières qui se jouent en théâtre clos. Losey a réalisé plusieurs grands films avant et après celui-ci, mais The Servant est sans doute le premier où il bénéficie d’une entière liberté lui permettant d’exprimer son propos avec une parfaite précision. L’intelligence de la mise en scène de Losey est sans faille et le réalisateur bénéficie des apports remarquables de collaborateurs de grand talent, au scénario (Harold Pinter), à la photographie (Douglas Slocombe), à la direction artistique (Richard Macdonald) et bien sûr à l’interprétation. Dirk Bogarde est génial dans le rôle du valet, l’une des compositions les plus extraordinaires de sa carrière, aux côtés des débutant Sarah Miles et James Fox, eux aussi inoubliables.

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