ARTE diffuse Ipcress, danger immédiat (The Ipcress File, 1965) de Sidney J. Furie lundi 23 juillet à 23h45. C’est le premier film d’une série de trois longs métrages consacrés aux aventures de l’agent secret britannique Harry Palmer. Palmer est une invention cinématographique. Le roman de Len Deighton dont est tiré le film avait pour principal protagoniste un espion anonyme, dont le nom n’était jamais cité et qui semblait souffrir de troubles paranoïaques. Certains de ses traits de caractère se retrouvent à l’écran. Le personnage de Palmer est présenté comme un anti-héros, fonctionnaire insolent et indiscipliné en butte à sa hiérarchie. Il s’agit pour les auteurs du film de proposer au mitan des années 60 un antidote au super-espion viril, invulnérable et quasiment surhumain incarné par Sean Connery dans les premiers « James Bond ». Palmer n’est pas pour autant une mauviette. Ancien soldat rompu aux techniques de combats, cockney rusé et amateur de jolies filles, Palmer offre à Michael Caine l’occasion d’une création exceptionnelle qui va participer à la définition de cet acteur au début de sa carrière, mélange de trivialité et d’impassibilité, de décontraction et d’excentricité, au même titre que ses interprétations dans Zoulou et Alfie le dragueur. Palmer est myope, solitaire, aime faire la cuisine dans son modeste appartement tandis qu’il tente de déjouer en pleine guerre froide une vaste conspiration visant à éliminer les scientifiques anglais. Ce nouvel espion à l’allure très différente de celle de James Bond mène son enquête sans quitter Londres, pas très loin de son bureau. Aux antipodes du cocktail d’exotisme, de glamour et de gadgets mis au goût du jour par le héros de Ian Fleming, Ipcress, danger immédiat fut pourtant produit par Harry Saltzmann, à l’origine des neuf premiers films de la série des « James Bond », avec Albert R. Broccoli. On retrouve au générique du film de Sidney J. Furie plusieurs noms qui contribuèrent de manière essentielle au succès des « James Bond » des années 60, comme le compositeur John Barry et le monteur Peter Hunt. La musique de Barry, désinvolte, cool et jazzy, pour coller à la personnalité de Palmer, s’oppose au « James Bond Theme » au rythme beaucoup plus trépidant. Le réalisateur engagé par Saltzmann, Sidney J. Furie, est un natif de Toronto qui avait d’abord signé en pionnier du cinéma indépendant canadien deux films – et des travaux pour la télévision – dans son pays d’origine avant d’immigrer vers l’Angleterre. Furie apporte à Ipcress, danger immédiat une stylisation visuelle qui témoigne des modes du moments mais aussi de nombreuses références au cinéma d’espionnage classique. Il y a deux citations directes dans Ipcress, danger immédiat. L’assassinat d’un agent britannique dans sa voiture à un feu rouge en plein centre-ville renvoie à la célèbre scène du Testament du docteur Mabuse (1932), déjà reprise par Lang lui-même dans son dernier film Le Diabolique Docteur Mabuse (1960). Un plan filmé au travers d’une paire de lunettes tombée à terre est quant à lui un hommage à L’Inconnu du Nord Express (1951) d’Alfred Hitchcock. Sidney J. Furie opte pour une mise en scène maniériste, avec un recours fréquent à la caméra subjective : visions floues de Harry Palmer privé de ses lunettes, ou sous l’emprise de la drogue lorsqu’il est capturé et torturé par ses adversaires. L’utilisation des courtes focales aboutit à des distorsions de l’espace et les cadres penchés créent une atmosphère oppressante et déréalisante qui retranscrit le basculement de Palmer dans un univers cauchemardesque, proche de la science-fiction. Furie multiplie aussi les angles bizarres, les positions de caméra inhabituelles qui lui vaudront une réputation de petit maître baroque – voir son western avec Marlon Brando L’Homme de la Sierra – avant qu’il ne s’efface progressivement dans l’indifférence des petites productions américaines commerciales et des films d’action destinés au marché vidéo. En attendant, Ipcress, danger immédiat est l’un des titres qui firent entrer le cinéma d’espionnage dans une ère post-moderne. Comme dans les romans de Graham Greene, les personnages sont les jouets de trahisons et de manipulations (Ipress… est un récit de contre-espionnage avec l’hypothèse qu’un agent double se cache au MI6), mais aussi des victimes de la bureaucratie et de la technologie. On assiste à une glaciation des sentiments, dans un monde sans affects où le cynisme et l’ironie restent les seules manifestations possibles d’émotions humaines. Palmer, avec son esprit rebelle, vient perturber ce glissement général vers l’inhumanité. Sa perception de la douleur physique, entretenue par un clou planté dans la paume de sa main, lui permettra d’échapper au lavage de cerveau organisé par ses tortionnaires et destiné à le transformer en robot privé de volonté. L’humour et la souffrance sont les meilleures armes de Palmer pour résister à des situations invivables, pour ne pas devenir une chose ou un chiffre.
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