Olivier Père

Paranoïa de Steven Soderbergh

Une jeune femme, convaincue d’être harcelée, est enfermée contre son gré dans une institution psychiatrique. Alors même qu’elle tente de convaincre tout le monde qu’elle est en danger, elle commence à se demander si sa peur est fondée ou si elle est le fruit de son imagination …

Paranoïa (Unsane) confirme le talent de Steven Soderbergh pour les exercices de style et les prouesses formelles. Le réalisateur n’est jamais aussi inspiré que lorsqu’il mêle sa veine expérimentale à la relecture des genres hollywoodiens, entre études sociétales et purs divertissements. Ainsi son nouveau long métrage – après une prétendue retraite et le développement de ses activités du côté des séries télévisées – est-il un thriller entièrement réalisé avec un iPhone (pour être plus précis le iPhone app FiLMiC Pro). Ce qui n’aurait pu être qu’un simple gimmick publicitaire générateur d’images laides et instables offre à Soderbergh l’opportunité de créer une atmosphère hyperréaliste et de multiplier les plans très longs, qui permettent aux acteurs d’évoluer en toute liberté, comme sur une scène théâtrale. La démarche de Soderbergh est de s’affranchir de la pesanteur des tournages traditionnels et de supprimer tous les intermédiaires – humains et techniques – entre l’idée d’un film et son exécution. Le maniaque du contrôle qu’est Soderbergh, habitué à occuper sous pseudonyme les places du directeur de la photographie et du monteur sur ces films, n’a pu qu’apprécier l’expérience. Il est notable de constater que ces méthodes de tournage renvoient à la légèreté d’un cinéma underground tel que le pratiquent déjà des artistes œuvrant dans les marges de la production commerciales depuis les années 60 : journaux filmés, essais intimes où les petites caméras numériques et les téléphones portables ont depuis longtemps remplacé le super 8, le 16mm et les premiers formats vidéo. Soderbergh adapte ce système de tournages sans équipe à un thriller psychologique avec des éléments de « slasher », dans la plus pure tradition des classiques de Polanski, De Palma ou Carpenter. Cela ne nuit en rien à l’efficacité de son récit ni de sa mise en scène, qui contient de beaux moments de suspens et de terreur et certaines trouvailles proches du cinéma expérimental. La surimpression du visage et de la chevelure de la jeune femme lors de ses errances paniquées dans les couloirs de l’hôpital donne naissance à des images à la fois oniriques et effrayantes, à l’instar des distorsions visuelles produites par Frankenheimer et son génial directeur de la photographie James Wong Howe dans Seconds en 1966, mais avec des moyens bien plus modestes. L’esthétisme numérique de Paranoïa renforce le sentiment de proximité presque domestique que nous éprouvons avec son héroïne. Soderbergh communique aux spectateurs l’angoisse claustrophobe et paranoïaque qu’elle ressent en se retrouvant enfermée contre son gré dans un institut psychiatrique inquiétant, où son harceleur a réussi à se faire embaucher pour pouvoir continuer à la persécuter. La légèreté et la vitesse d’exécution du film lui ont peut-être permis de trouver une résonance particulière avec l’agitation qui secoue Hollywood et l’industrie du cinéma mondial depuis plusieurs mois. L’histoire de cette jeune femme agressée par un psychopathe amoureux particulièrement violent et dangereux et dont la parole est mise en doute dans les deux tiers du film renvoie aux témoignages glaçants de victimes de harcèlement sexuel. Après avoir réalisé l’un des plus beaux portraits de femmes du cinéma américain contemporain (Erin Brockovich) puis proposé une variation féministe des films d’action hollywoodien (Haywire), Soderbergh vient de signer, sans doute de manière très consciente, le premier thriller de l’ère post-Weinstein.

 

Sortie en salle le mercredi 11 juillet.

Paranoïa de Steven Soderbergh

Paranoïa de Steven Soderbergh

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