Artus propose à la vente une formidable édition blu-ray française du célèbre film de Lucio Fulci, gorgée de suppléments – notamment des entretiens avec deux des principaux collaborateurs de Lucio Fulci – scénariste, responsable des effets spéciaux qui contribuèrent avec lui à la réussite de cet étonnant film d’horreur.
L’Enfer des zombies (Zombi 2, 1979) est la première imitation italienne des films de morts-vivants modernes réalisés par George A. Romero, avec son cortège de scènes de carnage et de cannibalisme. Le succès de Zombie de Romero en 1978, dont la version européenne a été supervisée par Dario Argento, inspire immédiatement les producteurs transalpins qui souhaitent exploiter ce nouveau filon du fantastique : un film d’horreur capable de mêler le gore, l’action et l’aventure exotique. De manière plus explicite que le film de Romero, L’Enfer des zombies renvoie à la culture vaudou. La majeure partie du récit se déroule sur une île dans les Caraïbes, berceau des croyances religieuses et superstitions importées d’Afrique qui entourent le retour des morts sur terre sous la forme d’esclaves, de marionnettes pathétiques ou de créatures assoiffées de vengeance et de sang humain. Moins politique que Romero, Fulci et le couple de scénaristes Dardano Sachetti et Elsa Briganti (seule créditée au générique) optent pour une version atmosphérique du zombie, mort vivant amorphe et loqueteux, mu par une unique pulsion dévoratrice. Il ne s’agit pas comme chez Romero de transformer le zombie en figure allégorique des masses aliénées, prolétaires ou consommateurs. Ici, c’est l’opposition entre le Nord et le Sud qui se joue devant la caméra de Fulci, le zombie y apparaissant comme le refoulé d’un passé colonialiste, qui finit par envahir les artères de Manhattan, le Tiers-Monde aux portes des grandes métropoles occidentales.
Loin d’être un plagiat servile et sans personnalité du film de Romero, L’Enfer des zombies développe ainsi une approche qui puise ses racines dans le film de Jacques Tourneur produit par Val Lewton en 1943, Vaudou, mais sur un mode beaucoup plus sanglant et spectaculaire. La dimension pop du film de Fulci n’est pas à exclure puisque les principaux concernés revendiquent aussi l’influence de la bande dessinée, ces fameux « fumetti » qui, avant ou simultanément au cinéma bis, recyclaient les personnages et situations de la série B américaine dans le cadre de péripéties extravagantes. Le premier réalisateur pressenti pour tourner le film, Enzo G. Castellari, déclina l’offre pour des raisons pécuniaires. La commande fut acceptée par Lucio Fulci, technicien doué et artisan versatile du cinéma populaire italien, alors dans une mauvaise passe financière et artistique. L’Enfer des zombies va devenir l’œuvre inaugurale d’un tournant décisif dans la carrière de Lucio Fulci, qui va se lancer dans une série de films construits autour de scènes révulsives et illogiques, inventant un fantastique à la fois viscéral et abstrait, d’inspiration lovecratienne (Frayeurs, L’Au-delà, La Maison près du cimetière, Le Chat noir). Fulci, dont certains westerns, « gialli » et films historiques laissaient déjà apparaître une certaine fascination pour la violence, s’engouffre à partir de L’Enfer des zombies dans un déchainement de cruauté et de nihilisme, en prenant ses distances avec le scénario traditionnel.
L’Enfer des zombies, ode lancinante à la pourriture, fut expurgée par la censure française de plusieurs minutes traumatisantes au moment de sa sortie en salles. On a pu le découvrir, grâce au DVD et désormais au Blu-ray, dans sa sanglante intégralité. L’une des scènes les plus fameuses du film montre un œil de femme crevé en gros plan par une gigantesque écharde lors d’une attaque de morts-vivants. Au-delà de la sauvagerie de cette scène, Fulci semble prendre le spectateur amateur de sensations fortes au piège de son voyeurisme. Le cinéma gore a repoussé les limites de la représentation de la violence, en donnant à voir l’intérieur des corps, les geysers de sang, le déballage des organes. L’œil jouit de cette exhibition obscène, au risque d’un dégoût qui frappe comme un aveuglement.
Laisser un commentaire