Olivier Père

Espions sur la Tamise de Fritz Lang

Elephant propose à partir du 6 février trois films noir parmi lesquels Espions sur la Tamise (Ministry of Fear, 1948) en combo DVD et blu-ray.

Si de nombreux films de Fritz Lang figurent au panthéon des chefs-d’œuvre de l’art cinématographique, Espions sur la Tamise jouit d’une réputation beaucoup plus modeste. Il s’agit pourtant d’une belle réussite de la période américaine de Lang, démonstration de la rémanence du génie du cinéaste qui ne bénéficia pas de la même liberté ni des mêmes moyens qu’en Allemagne dans le système des studios hollywoodiens mais parvint néanmoins à maintenir à un très haut niveau ses exigences de mise en scène et son point de vue sur l’histoire. Lang était le premier à désavouer cette production Paramount justement parce que le scénario lui avait totalement échappé, et qu’il méprisait l’adaptation faite du roman de Graham Greene (écrivain qu’il admirait), dont il avait voulu acheter les droits avant que le studio n’emporte la mise. Pourtant, Lang impose sa signature à chaque plan de Espions sur la Tamise, véritable film piège à l’instar de M le maudit. L’infortuné héros (interprété par Ray Milland) de ce récit d’espionnage en forme de rêve éveillé croise dès sa sortie d’un hôpital psychiatrique des agents nazis infiltrés dans la campagne londonienne, en pleine kermesse de charité. On y retrouve les thématiques de la conspiration et des sociétés secrètes chères à Lang, et aussi son obsession pour les personnages de médium. Une séance de spiritisme dans laquelle les participants d’une soirée privée forment un cercle renvoie aux grandes heures de l’expressionnisme et au diptyque muet consacré au docteur Mabuse, figure omnipotente du Mal. M le maudit et Espions sur la Tamise partagent aussi l’apparition inoubliable d’un aveugle, même si la cécité dans le second film n’est qu’un subterfuge. Sans doute mineur dans la filmographie de Lang, Espions sur la Tamise n’en demeure pas moins une leçon de mise en scène, et une œuvre parfaitement cohérente dans la carrière de l’auteur des Nibelungen. Si Fritz Lang n’a rien perdu de sa rigueur et de sa lucidité à Hollywood, il s’est parfois autorisé – comme dans Espions sur la Tamise – à se montrer plus sentimental que dans ses grands films allemands, tempérant la noirceur de son regard et son pessimisme ontologique par des moments poétiques de tendresse et d’espoir.

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