Olivier Père

Persona de Ingmar Bergman

ARTE diffuse Persona (1966) en version restaurée mercredi 7 février à 23h45, juste après le documentaire inédit Persona, le film qui a sauvé Ingmar Bergman consacré aux conditions particulières de la genèse et de la création du film. Dans les recherches, les angoisses et les crises incessantes qui caractérisent le travail cinématographique de Bergman, A travers le miroir (1961) et Le Silence (1963) constituent des étapes importantes sur le chemin de la modernité, période d’un doute artistique extrêmement fécond durant laquelle Bergman va se remettre en question et inventer des formes nouvelles. Le film le plus stupéfiant – et génial – du Bergman moderne est sans nul doute Persona, chef-d’œuvre absolu du cinéma des années 60, expérience sensorielle et intellectuelle qui compte parmi les plus fortes d’une filmographie monumentale. Malade, souffrant des vertiges, Bergman imaginera et écrira Persona à l’hôpital, partant d’une simple observation : la ressemblance physique bizarre entre deux actrices : Bibi Andersson avec qui il avait déjà travaillé et Liv Ullmann, qu’il rencontre pour la première fois peu de temps auparavant et qui deviendra sa compagne et sa muse, avec dix films tournés ensemble, jusqu’aux années 2000. L’idée est de mettre en chantier rapidement un petit film expérimental, extrêmement libre dans sa forme, sur la perte et la confusion de l’identité entre deux femmes, une actrice ayant soudainement décidée de se murer dans le silence et son aide-soignante, fascinée par sa patiente. Bergman souhaite se débarrasser du sens et de la narration classique, briser l’outil cinéma en en exhibant les rouages, les colures, malmener la grammaire cinématographique en privilégiant les très gros plans. « Je suis arrivé aussi loin que je peux aller. J’ai touché là, en toute liberté, à des secrets sans mots que seul le cinéma peut découvrir » dira le cinéaste. Film sur la schizophrénie, le combat entre l’intellect et l’affectif, le masque (« persona ») et l’âme (« Alma », prénom de l’infirmière interprété par Bibi Andersson), Persona est surtout un gouffre vertigineux aux interprétations multiples qui s’ouvre avec le prologue le plus sidérant de l’histoire du cinéma, pure poème visuel d’une dizaine de minutes dans lequel se chevauchent images subliminales de terreur enfantine, de mort et de sexe, de religion et de rituel cinématographique, comme si Bergman expulsait ses cauchemars et ses phantasmes de son inconscient pour les fixer directement sur la pellicule.

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