Olivier Père

Carrie au bal du diable de Brian De Palma

Le distributeur Splendor réédite au cinéma mercredi 1er novembre Carrie au bal du diable (Carrie, 1976), grand prix du Festival d’Avoriaz en 1977, premier grand succès commercial de De Palma et surtout première adaptation cinématographique du premier roman de Stephen King, publié en 73 à l’âge de 25 ans. Brian De Palma première période, ou la quête de l’impureté. Avant de s’enfermer dans des formes de plus en plus abstraites, De Palma, maître maniériste, nous offrait une poignée de beaux mélodrames fantastiques (Sœurs de sang, Phantom of the Paradise, Obsession, Furie, Blow Out) qui associaient l’exhibitionnisme technique à un déferlement tout aussi impudique d’amour et de haine. Grand sentimental sous ses allures d’ours mal léché, De Palma avant de choisir l’impasse du cynisme et de la misanthropie aimait bricoler des récits délirants peuplés de monstres humains et de fantômes amoureux. Avant de devenir cérébral le cinéma de De Palma frappait aux tripes et au cœur. Carrie au bal du diable est sans doute l’apogée précoce de cette approche opératique du cinéma, située pourtant dans un univers banal qui est celui de l’Amérique banlieusarde et provinciale, également choisi par Lucas et Spielberg dans leurs premiers films. Carrie est une jeune adolescente timide tourmentée par ses compagnes de lycée, et surtout par sa mère, une bigote fanatique qui lui inculque la haine du péché charnel. En même temps que les affres de la puberté elle se découvre des dons de télékinésie. On connait l’histoire, adaptée du premier roman à succès de Stephen King. Elle a été recyclée une bonne douzaine de fois depuis, la puberté diabolique étant devenue dans les années 70 et 80 un poncif du film d’horreur du samedi soir. À l’opposé de La Nuit des masques (Halloween, 1976) de John Carpenter, l’autre grand film séminal du cinéma fantastique américain moderne, Carrie au bal du diable ne joue pas la carte de l’épure hawksienne. Entre l’opéra italien, Mario Bava, Powell, Godard et Peckinpah, De Palma ne tranche pas. Si Hitchcock est déjà son cinéaste d’élection (il réalise l’année précédente un premier pastiche de Psychose, Sœurs de sang) son amour malade du cinéma ne peut se soigner que par un désir effréné de cinéma. De Palma ouvre son film par une scène de douche, en référence à Psychose ; le sang qui se mêle à l’eau ne provient pas d’une agression au couteau (ce sera pour plus tard) mais du corps même de la jeune Carrie.

Sissy Spacek

Sissy Spacek

Synchrone dans ses obsessions avec une brève période de permissivité de la censure, De Palma décide de s’engouffrer dans l’explicite, l’obscène, le maladif. Carrie au bal du diable est un film dédié au sang et chaque goutte du fluide vital est utilisée par De Palma comme les notes d’une partition mélancolique. Du sang de la pauvre Carrie qui découvre ses premières règles dès la séquence du générique, au sang de cochon qui la souillera en public lors du bal de fin d’année, victime d’une plaisanterie horrible, De Palma travaille le matériau le plus bassement organique et le transcende par la virtuosité de sa mise en scène. On peut déjà faire la grimace mais on conviendra que De Palma ne confond pas trivialité et vulgarité, que sa cruauté couve un romantisme morbide. Peu de films avant et après Carrie au bal du diable sont parvenus à emporter autant le spectateur, à le faire rire avec des gags crétins, à le terrifier et le faire pleurer devant des situations invraisemblables. Parmi ces films il y a Phantom of the Paradise et Body Double, également signés Brian De Palma.

La mise en scène de De Palma est virtuose et d’une grande musicalité, au diapason de la bande originale composée par le vénitien Pino Donaggio, son alter ego musicien.

De Palma est à juste titre réputé pour sa direction d’acteurs et son œil pour révéler de nouveaux talents. Dans les rôles de Carrie et de sa mère Sissy Spacek et Piper Laurie sont géniales, les débutants dans des seconds rôles, Amy Irving, Nancy Allen et John Travolta formidables.

Piper Laurie

Piper Laurie

De Palma n’a jamais été un comique mais la description du campus dans Carrie au bal du diable évoque souvent le chef-d’œuvre de Jerry Lewis, Docteur Jerry et Mister Love. Le film propose un curieux mélange de puritanisme anglo-saxon (chez De Palma le sexe est toujours abordé sous l’angle de ses perversions, principalement le voyeurisme) et de provocation typiquement latine (les scènes blasphématrices qui proviennent directement des outrances du cinéma d’horreur italien.) Dans Carrie au bal du diable l’argument fantastique n’est qu’un prétexte pour déclencher des scènes de violence paroxystiques, baroques, insensées. Le cinéma du jeune De Palma se caractérise par son goût des émotions sublimes. Juste avant que le fantastique ne connaisse un irréversible déclin vers la parodie, le second degré et le « torture porn », à l’orée d’une collaboration qui se terminera trente-six ans plus tard par un squelette de film (Passion), De Palma et Donaggio orchestrent in extremis les noces grandioses de l’horreur et du mélodrame, des larmes et du sang.

 

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