ARTE diffuse Reds (1981) de et avec Warren Beatty lundi 6 novembre à 20h55. Reds est un film plus intéressant que sa réputation de fresque intimiste couronnée par plusieurs oscars. Le film a l’ambition de retracer la tumultueuse existence de John Reed, figure légendaire de la gauche américaine. Reed, journaliste et activiste communiste, témoin de la Révolution russe, fut l’auteur du célèbre 10 jours qui ébranlèrent le monde préfacé par Lénine. Le sujet, anachronique dans l’Amérique des années 80 et son regain d’anticommunisme, aurait pu laisser craindre une superproduction académique, une version plus intellectuelle du Docteur Jivago de David Lean. Heureusement, le résultat mégalomane de Reds, est à l’image de son auteur complet, Warren Beatty : intelligent, complexe, séduisant. Acteur sous-estimé dont on a oublié la place essentielle dans le cinéma américain des années 70, la star au physique de play-boy fut un auteur avant de passer directement à la mise en scène, en produisant la plupart des films où il avait la vedette. Reds lui fournit l’occasion de devenir un véritable cinéaste en abordant un sujet frontalement politique. La réussite de Reds tient dans l’équilibre émouvant que le film installe entre l’histoire d’amour de John Reed avec l’écrivain féministe Louise Bryant (interprétée par Diane Keaton) et la relation étroite que le couple va entretenir avec l’Histoire du XXème siècle. Comme un autre beau film de la même époque, New York, New York de Martin Scorsese, Beatty montre avec beaucoup de subtilité le rapport au travail et au monde que peut entretenir un couple, parallèlement à ses tourments intimes. C’est cette dimension intimiste qui surprend le plus dans un film historique à grand spectacle qui malgré la tentation de son sujet ne sacrifie jamais aux mouvements de foules mais se concentre au contraire sur les dialogues, les affrontements verbaux, les débats d’idées ou les scènes de ménage. Il y a dans Reds l’idée géniale de ne montrer en 3h08 de film sur la Révolution que deux très courtes scènes d’action, où l’on voit John Reed absurdement courir après un chariot, d’abord au Mexique puis en Russie, sans que le sens concret ou allégorique de cette course (sauver sa peau ? rattraper le cours de l’Histoire ?) ne soit explicité. Dans le registre de la biographie historique, Reds est en quelque sorte un chef-d’œuvre atypique, mis en scène par une personnalité hollywoodienne qui ne l’est pas moins, avec une ambition démesurée et la volonté de filmer l’histoire à travers une destinée exceptionnelle. Warren Beatty décompose son récit et multiplie les points de vue sur un héros central à la fois célèbre et secret, énigmatique, insaisissable. Beatty convoque près de vingt hommes et femmes, contemporains de John Reed et survivants de l’époque (parmi lesquels le romancier Henry Miller), pour apporter leurs témoignages sur le journaliste américain impliqué dans la révolution bolchevique, filmés en vidéo et insérés au fil de la luxueuse reconstitution mise en scène par l’acteur cinéaste et son directeur de la photographie Vittorio Storaro. Ces entretiens en gros plans de divers témoins réels de la vie de Reed, apportent des commentaires très impressionnistes, parfois anecdotiques, en marge de la fiction cinématographique. Cette proximité inédite entre des images et des sons documentaires et la reconstitution hollywoodienne la plus luxueuse n’est pas la moindre invention d’un film audacieux et réfractaire au monumentalisme.
Reds de Warren Beatty
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