Olivier Père

Jack l’éventreur de John Brahm

Avant que le cinéma bis européen ne s’en empare – plusieurs films britanniques, une illustration sobre et violente de Jess Franco, etc. – l’histoire de Jack l’éventreur a inspiré à John Brahm un classique du cinéma américain criminel. Le scénario, signé Barré Lyndon, est la troisième adaptation pour l’écran du roman The Lodger de Marie Belloc Lowdes, après celle de Hitchcock en 1927 (Les Cheveux d’or) et son remake sonore de 1932 (Meurtres) par Maurice Elvey, dans lequel Ivor Novello reprenait son rôle de locataire soupçonné d’être l’assassin qui éventre ses victimes dans la nuit londonienne.

Le roman de Marie Belloc Lowdes continuera d’être adapté au cinéma, notamment par Hugo Fregonese en 1953 (Man in the Attic) avec le même scénariste que le film de Brahm, Barré Lyndon. Le roman The Lodger avait été traduit en France sous le titre L’Etrange Locataire. Publié en 1913, il associait aux ingrédients du roman gothique les prémisses du thriller psychologique moderne. Le roman de Lowdes comme le film de Brahm prennent de nombreuses libertés avec la véritable affaire de Jack L’éventreur, mais conservent le décor du quartier londonien de Whitechapel où sévit le tueur en série en 1888. Dans cette version produite en 1944 pour la Fox, Jack l’éventreur n’assassine pas des prostituées mais des chanteuses de cabaret. Sans doute une concession à la censure, légitimée par le scénario. Le locataire, chercheur en médecine, venge son frère qui s’est suicidé à cause d’une danseuse. Sa folie meurtrière laisse deviner des pulsions homosexuelles et incestueuses. Le film nous entraîne ainsi dans les coulisses du music-hall londonien, et inclut quelques morceaux chantés et dansés. Il introduit aussi les premières investigations de la police scientifique. Jack l’éventreur bénéficie d’une magnifique photographie en noir et blanc signée Lucien Ballard. John Brahm était un cinéaste d’origine allemande qui avait débuté dans les théâtres de Berlin, Vienne, et Paris. Après avoir fui le nazisme et s’être installé à Hollywood, John Brahm a connu une longue carrière, travaillant essentiellement dans le secteur des films à petit budget puis à la télévision. De sa filmographie assez indistincte on retiendra surtout deux titres réalisés coup sur coup : Jack l’éventreur et Hangover Square, drames criminels qui partagent de nombreux points communs et aussi des collaborateurs artistiques, techniciens et acteurs. Les deux films sont interprétés par Laird Gregar et George Sanders, et emprunte plusieurs éléments visuels à l’expressionnisme allemand. La poursuite finale dans le théâtre est une séquence d’anthologie. Avec Slade, le locataire, Laird Cregar trouve le rôle de sa vie. Ce « character actor » à la corpulence imposante était régulièrement employé à Hollywood dans des personnages de méchants. Le succès de Jack l’éventreur l’incita à entreprendre un régime drastique à base d’amphétamines pour perdre rapidement du poids et ainsi prétendre à des rôles plus romantiques et accéder au vedettariat. Bien mal lui en a pris puisque son traitement entraîna de graves problèmes de santé. Il décéda d’un arrêt cardiaque à l’âge de 30 ans, le 9 décembre 1944. Hangover Square (1945) où il jouait pour la dernière fois un esprit dérangé est son film posthume.

Jack l’éventreur est disponible en Blu-ray et DVD, édité par Rimini.

Laird Gregar dans Jack l'éventreur de John Brahm

Laird Gregar dans Jack l’éventreur de John Brahm

 

Catégories : Actualités

2 commentaires

  1. Bertrand Marchal dit :

    laird Gregar était un acteur étonnant, un Orson Welles fragilisé par une ineffable mélancolie. Il est très bien dans ce rôle de criminel compulsif, poussé au meurtre par une force intérieure qu’il est incapable de contenir. Il a des timidités tout à fait pertinentes.

    Les décors sont très réussis, l’actrice est belle et joue juste. Le milieu dans lequel évolue tous ces personnages est très étonnant, il tranche avec ce que le cinéma nous a donné à voir de l’Angleterre victorienne: c’est une famille un peu bohème, presque invraisemblable: soucieuse des convenances, mais ouverte à l’art le plus frivole; que cette jeune femme ait choisi le music-hall pour s’exprimer, à moitié dévêtue et chantant des chansons polissonnes ne semble émouvoir personne!

    La version de Fregonese avec Jack Palance est cependant nettement supérieure. Palance y est un Jack L’Éventreur bien plus bouleversé par des affects intimes qui sont clairement évoqués- et font sens. Dans cette version aussi, la fin est tout autre: il renonce à commettre un nouveau meurtre qui serait aussi un sacrilège contre une ouverture vers la lumière que lui offre le destin. Il choisit véritablement de se suicider, achevant par cet acte de dessiner le portrait tragique d’un homme-enfant détruit par des traumatismes dont il n’est pas responsable.

    Dans un registre similaire, Palance est aussi très remarquable dans le Dracula de Badham. Très bon film.

  2. Olivier Père dit :

    oui. sauf que Palance joue Dracula dans Dracula et ses femmes vampires de Dan Curtis, un téléfilm américain exploité en salles en Europe. le Dracula de John Badham est interprété par Frank Langella.

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