Olivier Père

Cannes 2017 Jour 1 : Les Fantômes d’Ismaël de Arnaud Desplechin (Hors compétition, film d’ouverture)

Le cinéma de Desplechin a toujours été hanté par des fantômes. On y croise les fantômes de l’Histoire (La Sentinelle), ceux, plus intimes, d’un roman familial (L’Aimée, l’étrange documentaire sur le souvenir de la grand-mère du réalisateur) mais aussi des fantômes de cinéma. Desplechin a construit une œuvre autour de béances et d’absences, de fragments et de deuils, pour mieux y célébrer un élan vitaliste, une énergie des premières fois et des secondes chances. Les Fantômes d’Ismaël emprunte la forme d’un film à clefs avec le personnage central d’un cinéaste, double de Desplechin interprété par son acteur fétiche (Mathieu Amalric) bouleversé par la réapparition de sa femme à la veille d’un tournage, après vingt ans d’éclipse inexplicable. Le film entremêle avec virtuosité plusieurs récits de natures diverses, plusieurs niveaux d’images mentales ou réelles. Desplechin organise la collision frénétique entre des fragments du film que Ismaël a écrit et qui mettent en scène son frère cadet, diplomate fantaisiste embarqué dans de drôles d’aventures, des souvenirs de la rencontre avec sa nouvelle compagne Sylvia, le retour de Carlotta qui vient bousculer l’harmonie du couple, l’angoisse du père de Carlotta orphelin de sa fille, la fugue panique d’Ismaël… Ce maelstrom de fictions se révèle particulièrement stimulant, et montre un cinéaste en pleine possession de ses moyens, passionné par le sentiment amoureux et les faiblesses humaines, le mystère des femmes contre le désarroi des hommes. Le film regorge d’idées, de trouvailles de scénario et de mise en scène. Les fulgurances stylistiques fusent de toutes parts et maintiennent constamment en haleine le spectateur, balloté entre rire, malaise et émotion. Qui sont les fantômes d’Ismaël ? Sa femme bien sûr, prénommée Carlotta en hommage transparent à Vertigo. Déjà Desplechin reprenait dans L’Aimée la musique de Bernard Herrmann composée pour le chef-d’œuvre matriciel d’Hitchcock. Vertigo est donc lui aussi un fantôme qui hante l’imaginaire de Desplechin et de ses films. Quant au frère rêvé, fantôme présent dans le thriller qu’imagine Ismaël, il répond au désir de romanesque et de cinéma de genre qui ne cesse de traverser le cinéma de Desplechin. Maître d’une matière chaotique qu’il projette sur l’écran, le cinéaste opère la fusion (« compression » selon ses mots) entre l’autofiction et le mélodrame, la comédie burlesque et le cinéma d’espionnage. L’inspiration vient aussi de la peinture de Pollock, évoquée dans un dialogue. Cette volonté de réunir plusieurs histoires rejoint le thème du lien amoureux et familial, au cœur du film. Difficile de saluer les qualités du film et d’oublier l’immense talent de directeur d’acteurs et d’actrices de Desplechin, qui offre à Charlotte Gainsbourg et Marion Cotillard (photo en tête de texte) des rôles magnifiques.

 

Les Fantômes d’Ismaël existe en deux versions, l’une de 1h54 présentée à Cannes et exploitée dans la plupart des salles, l’autre de 2h15, davantage conforme à la volonté du réalisateur, que l’on peut découvrir – pour l’instant – au cinéma du Panthéon à Paris.

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