Reprise en salles (par Carlotta) et nouvelle édition blu-ray (chez Wild Side) de Sanjuro (1962) de Akira Kurosawa, produit par la Toho, en version restaurée. C’est la suite de Yojimbo, réalisée pour profiter du succès du « chanbara » (film de sabre) semi parodique de Kurosawa. On a le droit de le préférer au premier film mettant en scène l’aventurier vagabond interprété par Toshiro Mifune (photo en tête de texte). Le cinéaste fut d’abord réticent, mais il transforma la commande en œuvre critique et en réflexion sur la violence.
Sanjuro débute par une scène souvent filmée par Kurosawa : une réunion de conspirateurs. Neuf jeunes seigneurs décident de s’attaquer aux éléments corrompus de leur propre clan. Sanjuro fait irruption dans leur cachette, interrompt la conversation secrète et propose son aide aux mutins inexpérimentés, les sortant d’un mauvais pas devant l’imminence d’un danger extérieur. Cette séquence inaugurale fait le lien avec le premier film, dans lequel Sanjuro était souvent présenté comme un voyeur désabusé, observateur lointain et indifférent qui assistait à de violentes tensions claniques avant d’intervenir de manière décisive et d’éviter le pire. Sanjuro prolonge cette thématique du regard ainsi que celle de l’individu (tout) contre le groupe. Sanjuro est un solitaire, à la fois spectateur et metteur en scène dans un récit où la stratégie s’oppose à l’action désordonnée, au gré de péripéties dignes d’un film d’espionnage médiéval. S’il arbore la même tenue dépenaillée que dans Yojimbo, frappé des mêmes tics intempestifs, Sanjuro semble doté d’une plus grande sagesse. Il croise dans cette nouvelle aventure un homme de main qui travaille pour le camp adverse mais lui ressemble étrangement, et avec lequel il va sympathiser. La conclusion du film l’amènera à se battre en duel avec son double, dans une scène qui est entrée dans l’histoire du cinéma pour sa contribution essentielle à la représentation de la violence à l’écran. Le cadre souligne la symétrie entre les deux combattants, figés dans une longue pose brisée par la fulgurance imperceptible du sabre. Le puissant geyser d’hémoglobine qui traverse l’image, unique et immédiate trace d’un mouvement létal, marque l’entrée spectaculaire de l’esthétique du manga dans le film de samouraïs. Cette figure sanglante sera reprise et copiée par de nombreux « chanbara » des années 60 et 70, notamment la série des « Baby Cart » qui en renforcera la démesure avec l’utilisation de la couleur. L’influence de Kurosawa ne se limite pas au cinéma japonais et il est aisé de souligner tout ce que Sam Peckinpah doit à l’auteur de Sept Samouraïs. Contrairement à celui des petits maîtres qui s’en inspireront le formalisme de Kurosawa n’est jamais gratuit et ne cède pas à la facilité. L’art de la mort, aussi fascinant soit-il, ne doit être glorifié. Un samouraï sans maître est comme une lame sans fourreau, est-il dit dans le film. Soit une violence incontrôlable, autodestructrice. Une bonne épée doit rester dans son fourreau, telle est la leçon finale de Sanjuro à ses jeunes disciples, avant de reprendre la route.
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