Olivier Père

L’Ibis rouge de Jean-Pierre Mocky

ARTE diffuse L’Ibis Rouge (1975) de Jean-Pierre Mocky mercredi 25 mai à 20h55.

Pause récréative au milieu des années 70 à une époque où Mocky enchaîne des brûlots anarchisants qui tiraient à boulets rouges sur les institutions et la société française, L’Ibis rouge bouscule à ma manière les codes du film criminel, avec une bonne dose d’absurde, de poésie et d’humour noir. Mocky comme de coutume s’empare d’un roman policier américain, ici Knock Three One Two (« Ça ne se refuse pas ») de Fredric Brown, publié dans la « Série Noire », pour imaginer une galerie de personnages excentriques et monstrueux, mais paradoxalement attachants.

Mocky a toujours aimé les acteurs et il offre ici à Michel Serrault (photo en tête de texte) et Michel Galabru d’enrichir leur palette en créant des caractères pathétiques, loin de leurs pitreries habituelles. Le premier interprète un employé de bureau solitaire et timoré qu’un traumatisme enfantin a transformé en étrangleur de femmes, tandis que Galabru campe un ancien danseur de tango en instance de divorce, toujours amoureux de sa belle épouse (Evelyne Buyle) et traqué par des gangsters auxquels il doit de fortes sommes d’argent perdues au poker. Quant à Michel Simon, dans sa dernière apparition à l’écran, il est tout simplement bouleversant dans le rôle du marchand de journaux Zizi, faisant surgir les souvenirs de Monsieur Hire, Boudu et le Père Jules en vieillard acariâtre, mythomane et misanthrope, dont le seul ami est un petit garçon noir tiré à quatre épingles et amateur de bananes. Aux côtés des trois Michel L’Ibis rouge grouille de figures pittoresques, du second rôle au simple figurant, caractéristiques de cet art de la distribution dont Mocky a le secret. Gueules bizarres, accessoires loufoques, accoutrements étranges, tics de langage ou handicaps physiques… Mocky met en scène une cour des miracles qui n’est qu’un miroir déformant des Français, toutes classes sociales confondues. L’ancrage urbain du film, presque entièrement tourné sur les bords du Canal Saint-Martin, évoque un Paris populaire illustré quarante ans plus tôt dans les classiques du cinéma français d’avant-guerre. Des souvenirs de Drôle de drame, Hôtel du Nord, L’Atalante… ressurgissent dans la mémoire du spectateur. A cette tradition du réalisme poétique, transfigurée par le goût du bizarre, Mocky ajoute une touche d’humour grotesque et fantastique très Mitteleuropa qui le rapproche du Polanski du Locataire et même du Kubrick d’Orange mécanique. L’ambiance onirique de L’Ibis rouge, son rythme frénétique, l’originalité de sa direction artistique, sa ritournelle entêtante et ses performances d’acteurs délirantes, représentatives du cinéma de Mocky nous rappellent que l’auteur de L’Albatros fut pendant près de trente ans l’un des cinéastes les plus enthousiasmants du cinéma français, dont l’esprit frondeur et farceur ne doit pas faire oublier les idées de mise en scène et la passion du cinéma et des acteurs qui animent ses meilleurs films – et ils sont nombreux !

 

L’Ibis rouge sera également disponible en télévision de rattrapage pendant sept jours sur ARTE+7. Nous reviendrons sur L’Ibis rouge avant sa diffusion en compagnie de Jean-Pierre Mocky, lors d’un entretien vidéo exclusif.

 

 

 

 

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