Les séances « cinéma bis » de la Cinémathèque française rendent un énième hommage à Lucio Fulci (1927-1996) en projetant vendredi 4 mars à partir de 20h deux de ses plus célèbres films d’horreur, lors d’un double programme riche en zombies, morts violentes, sang et tripaille : Frayeurs (Paura nella città dei morti viventi, 1980) et La Maison près du cimetière (Quella villa accanto al cimitero, 1981, photo en tête de texte). L’occasion aussi de revenir sur une œuvre sauvage mais aussi plus théorique et réflexive qu’on pourrait le penser.
On n’en aura jamais fini avec Lucio Fulci, artisan du cinéma bis dont la prolifique carrière d’abord dédiée à la comédie puis à l’horreur et à la violence connut des hauts et de bas, symptomatiques des modes et de tendances du cinéma populaire italien, jusqu’à son déclin irréversible à la fin des années 80. Mais on retiendra chez Fulci un univers personnel malgré tout, une vision très cynique et misanthrope du monde qui s’épanouira tout naturellement dans le cinéma « gore », mais qui contaminera également ses incursions dans le western ou le film d’action. Frayeurs fait partie avec L’Au-delà et La Maison près du cimetière d’une trilogie informelle dont les ingrédients immuables (demeures hantées, portes infernales, zombies, meurtres sanguinolents et ultra violence baroque) permirent à Lucio Fulci de devenir le pape, avec son rival Dario Argento, du fantastique italien à l’orée des années 80. Tout commence dans Frayeurs par le suicide d’un prêtre qui va déclencher, dans la petite ville de Dunwich (référence directe à Lovecraft) des événements aussi illogiques qu’atroces dont la succession, scandée par une musique électronique obsédante signée Fabio Frizzi et de maigres dialogues ânonnés par des acteurs hallucinés va tenir lieu de scénario expérimental. Si L’Au-delà est plus réussi, et La Maison près du cimetière plus radical, Frayeurs peut se vanter d’être le film le plus choquant de Fulci, au point que deux scènes célèbres – et répugnantes – furent sévèrement censurées lors de sa distribution française : le crâne d’un marginal transpercé par une chignole électrique et une jeune femme vomissant l’intégralité de ses entrailles. Les spectateurs de la Cinémathèque auront la chance de les contempler puisque c’est la version originale – le film fut tourné en anglais – intégrale qui sera projeté, et en 35mm s’il vous plaît.
La Maison près du cimetière revisite le thème cinématographique et littéraire de la maison hantée. Un couple et leur petit garçon viennent s’installer dans une vieille demeure de la région de Boston. Le mari est un scientifique qui entent poursuivre les recherches d’un collègue suicidé au sujet du docteur Freudstein, condamné à la fin du XIXème siècle pour des expériences médicales illégales. La cave de la maison, dont la porte a été scellée, dissimule un terrifiant secret. Cette intrigue permet à Fulci de mettre en scène des mises à mort horribles mais surtout de préciser ce qui faisait la particularité de ses précédents films fantastique : la communication entre différents espace-temps, représentée ici par la relation entre le petit garçon et une fillette échappée de la mort et du passé, qui tente d’avertir l’enfant du danger qui les menacent lui et ses parents. D’abord à l’intérieur d’une photographie de la maison étrangement présente dans l’appartement new-yorkais de la famille avant leur déménagement, ensuite lors de rencontres secrètes dans les environs de la résidence. Entre sentiment de déjà-vu et prémonitions funèbres, Le film de Fulci explicite aussi le devenir marionnette de personnages aux comportements irrationnels réduits à des manifestations d’angoisse, telle la baby-sitter (la fascinante Ania Pieroni) qui apparaît pour la première fois sous la forme d’un mannequin dans une vitrine, avec l’anticipation de son macabre destin. La complaisance des meurtres et les flots de sang ne font qu’accentuer la lancinante lenteur de l’ensemble du film, comme un cauchemar sans fin dont sont prisonniers à la fois les protagonistes et les spectateurs. La Maison près du cimetière s’achève par une citation de Henry James qui souligne la relation du film de Fulci avec Le Tour d’écrou et ses enfants en proie à la corruption d’adultes maléfiques : « Nul ne saura jamais si les enfants sont des monstres ou les monstres des enfants. »
Au-delà de ce grand guignol décadent, Frayeurs et La Maison près du cimetière illustrent la thématique fulcienne de la superposition d’univers disjoints, du point de rencontre entre le cauchemar et la réalité, le passé et le présent, le monde des morts et celui des vivants. L’espace de quelques films, Fulci parvint à faire rimer magie et vomi, au point de devenir pour ses admirateurs non seulement un maître du macabre, mais aussi un esthète de la pourriture, enregistrant avec une cruauté malsaine et une lucidité ricanante la mort du cinéma italien de genre, étroitement liée à son propre déclin professionnel.
En prime, la bande-annonce des séances cinéma bis, sur la musique de L’Alliance invisible (Tutti i colori del buio, 1972) de Sergio Martino, composée par Bruno Nicolai.
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