Après son exhumation de la série des « Frankenstein » en DVD ou combo Blu-ray, l’éditeur Elephant réserve le même sort à trois films autour de la figure du célèbre vampire inventé par Bram Stoker.
Ces trois films appartiennent au fantastique certes, mais ils s’affranchissent de certains canons du genre et véhiculent surtout une poésie qui n’a rien de galvaudée et caractérise le meilleur de la production des petits studios ou du département des séries B d’une grande compagnie comme Universal. Les films baignent dans un onirisme envoutant, éveillent des sentiments troubles et ne cachent pas leur dette à la vieille Europe et à la psychanalyse.
Au début des années 30 le succès de Dracula de Tod Browning (1931) incite la Universal à produire des séquelles de catégorie B mettant en scène la progéniture du vampire, comme La Fille de Dracula (Dracula’s Daughter, 1936, photo en tête de texte) de Lambert Hillyer avec Gloria Holden. Ce film étrange modernise le mythe du vampire et met en scène un psychiatre misogyne, affublé d’une séduisante assistante, dont l’ami Von (Van) Helsing est arrêté pour avoir tué Dracula. Pendant ce temps une comtesse hongroise prétend être possédée par l’esprit du vampire. Retiré des mains de James Whale dont les intentions furent jugées trop provocatrices, vaguement inspiré par une nouvelle de Stoker et le fameux Carmilla de Sheridan Le Fanu, cette Fille de Dracula se révèle, même sous la houlette d’un simple tâcheron, un manifeste « queer » pré code, dans lequel une aristocrate androgyne lève des femmes de petite vertu avec la complicité d’un domestique au maquillage outrancier, prétextant des « services artistiques » et les vide de leur sang. De telles allusions explicites à la prostitution et à l’homosexualité n’allaient pas être tolérées longtemps à Hollywood. L’alibi fantastique n’empêche pas de considérer La Fille de Dracula pour ce qu’il est vraiment, un des rares films traitant ouvertement du lesbianisme dans les années 30 aux Etats-Unis. Cela achève d’en faire une véritable curiosité, un objet vénéneux à l’ambiance décadente.
En 1943 Curt Siodmak, frère de Robert, également cinéaste excentrique (Esclave des amazones) et romancier efficace (Le Cerveau du nabab) imagine Le Fils de Dracula, sans aucun rapport avec roman de Bram Stoker, dont l’action se déroule à l’époque contemporaine en Louisiane, dans la haute société de Dark Oaks, non loin des marécages du bayou. Robert, mécontent du travail de son frère, trouva cette histoire totalement bâclée et la fit réécrire par un nouveau scénariste, Eric Taylor. Quant au choix de Lon Chaney, Jr dans le rôle de Dracula (qui se fait appeler Alucard, soit Dracula à l’envers), il est plutôt hasardeux, le fils du grand acteur transformiste ne possédant ni la prestance aristocratique, ni l’aura érotique habituellement associée au Prince des Ténèbres. Mais tout peut se perdre de père en fils… Son interprétation cabotine ajoute à l’étrangeté de cette œuvre rare (inédite en France, jusqu’ici appréciée par les rats de cinémathèques et les collectionneurs), somptueusement photographiée, joliment atmosphérique, et accidentelle dans la carrière d’un des maîtres du film noir (Deux mains, la nuit ; Les Tueurs ; Pour toi, j’ai tué). C’est le sixième film à Hollywood de Robert Siodmak qui a commencé sa carrière américaine avec des petits films produits par le département B de la Fox, de la Universal ou de la Paramount, ou pour Republic Pictures avant de pouvoir accéder à des projets plus ambitieux avec des stars comme Burt Lancaster, Victor Mature ou Ava Gardner.
Il est amusant de croiser Lon Chaney, Jr au gré des films fantastiques de la Universal, invité à endosser la défroque de la momie, de la créature de Frankenstein ou de Dracula, dans des performances contestables. Il était l’homme à tout faire du studio, même si l’idée de lui confier épisodiquement l’interprétation de tous les monstres du répertoire gothique peut surprendre. Lon Chaney, Jr ne fut vraiment à sa place que dans le rôle de l’infortuné Lawrence Talbot, condamné à se transformer en loup-garou les nuits de pleine lune, dans cinq films. C’est donc en lycanthrope qu’on le retrouve dans La Maison de Dracula (House of Dracula, 1945), film patchwork conçu selon le même principe que La Maison de Frankenstein réalisé un an plus tôt par Erle C. Kenton, avec une équipe commune. Glenn Strange incarne le monstre de Frankenstein et John Carradine le comte Dracula. L’histoire ne raccorde pas avec les films précédents et tente de mêler dans une intrigue prétexte les tourments des trois monstres, réunis arbitrairement dans un château pour une sorte de thérapie de groupe involontaire. Dracula et le loup-garou voudraient vaincre la malédiction qui pèse sur eux en s’offrant les services du docteur Edelman, lui-même assez bizarre. Il y a une assistante au beau visage mais bossue. On se demande comment le scénariste a pu inventer tout ça. C’est une histoire de fous, avec encore quelques instants fugaces de poésie surréaliste, et de chouettes décors et maquettes.
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