Olivier Père

Le Trésor de Corneliu Porumboiu

Le Trésor (Comoara) sort mercredi 10 février dans les salles françaises après sa présentation lors du dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard.

Auteur majeur du renouveau du cinéma roumain dans les années 2000, Corneliu Porumboiu signe avec Le Trésor son quatrième long métrage et peut-être son meilleur, qui réunit toutes les qualités de ses films précédents en y apportant une profondeur nouvelle, et des prolongements aussi fascinants que parfaitement maîtrisés. Le Trésor est une tragicomédie aux enjeux dramatiques puissants qui soulève comme toujours chez Porumboiu des questionnements moraux étroitement liés à l’histoire de la Roumanie et au cinéma lui-même. L’odyssée de deux pieds nickelés à la recherche d’un supposé trésor enfoui dans la jardin d’une maison familiale est prétexte à des scènes cocasses d’humour à froid et à des joutes oratoires absurdes qui confirment l’intelligence et la virtuosité d’écriture de Porumboiu, sans doute le cinéaste contemporain qui accorde le plus d’importance aux mots et à leur sens, indissociables de sa conception de la mise en scène et du cadre. Mais l’histoire de ce trou creusé en pleine nuit va aussi révéler plusieurs strates du XXième siècle de la Roumanie : l’arrivée des communistes (à l’origine supposée de ce trésor), la « libération » de 1989, la crise économique actuelle… autant de moments clés de l’histoire du pays évoqués dans les dialogues et qui scandent le récit. Moins théorique que les précédents opus de Porumboiu, Le Trésor ajoute à ce terreau historique une fibre familiale qui est sans doute la part la plus émouvante du film. Costi (Cuzin Toma), modeste comptable, accepte d’aider son voisin Adrian à chercher ce fameux trésor dans l’espoir d’un pactole providentiel à partager mais avant tout – et secrètement – pour consolider son statut de héros aux yeux de son fils de cinq ans auquel il raconte des histoires avant de dormir, notamment celle de Robin de bois, prince des voleurs qui prenait aux riches pour distribuer aux pauvres. Ce partage illusoire des richesses, obsession d’un peuple spolié d’abord par les communistes puis victime du capitalisme sauvage qui s’est installé en maître dans le pays, est au cœur du projet de Corneliu qui parle aussi d’une note d’espoir, d’une transmission possible aux générations futures, d’un peu d’esprit chevaleresque au milieu d’un monde sans pitié où règne la loi du plus fort. Costi veut apprendre à son fils à se défendre dans la vie, et aussi à continuer à croire aux contes de fées. Son aventure rocambolesque lui en offrira l’occasion, quitte à travestir – comme Porumboiu, les faits réels. Croire aux contes de fées, c’est aussi croire au cinéma, ce que Corneliu Porumboiu n’a jamais cessé de faire en imaginant des dispositifs capables d’optimiser la puissance des mots et des images dans des fictions en prise directe avec la réalité, passé et présente de la Roumanie. De s’en amuser aussi, comme le confirme ce Trésor inspiré d’une mésaventure survenue à Adrian Purcărescu (Adrian dans le film) : Adrian Purcărescu, endetté par un film qu’il voulait mettre en scène, obligé d’hypothéquer l’appartement où vivait sa famille et de faire face à la faillite de sa maison d’édition partit à la recherche d’un trésor enterré dans le jardin de ses grands-parents selon une légende locale. Il ne trouva rien, mais raconta son histoire à Corneliu Porumboiu… on devine la suite.

Adrian Purcărescu joue donc – presque – son propre rôle dans Le Trésor, et Porumboiu lui a proposé de revivre cette expérience malheureuse, comme un exorcisme.

Le cinéma, pas seulement pour témoigner, mais pour conjurer le mauvais sort, celui d’un homme et d’un pays.

Sylvie Pialat (coproductrice française du film) et Corneliu Porumboiu

Sylvie Pialat (coproductrice française du film) et Corneliu Porumboiu en pleine conversation sur le tournage du Trésor, à Bucarest

Catégories : Actualités · Coproductions

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