Olivier Père

3h10 pour Yuma et Cow-boy de Delmer Daves

Carlotta a édité cet été en DVD et Blu-ray ces deux superbes westerns de Delmer Daves, l’un des maîtres du genre, à revoir absolument. Le premier est un chef-d’œuvre au statut mérité de classique absolu, le second ne bénéficie pas de la même réputation mais s’avère tout aussi essentiel. Les deux films se parlent, car Daves y aborde le western d’une façon similaire malgré des esthétiques et des ambitions à première vue différentes. Le grand thème des westerns de Daves, cinéaste humaniste au sens le plus noble du terme, c’est la connaissance de l’autre, mais aussi la révélation de soi grâce à l’autre. Cela commence bien sûr avec La Flèche brisée (Broken Arrow, 1950), sublime western antiraciste où James Stewart tentait de négocier la paix entre les Apaches et les Blancs après avoir pris conscience que les Indiens étaient aussi des êtres humains, et tombait amoureux fou d’une jeune Apache incarnée par Debra Paget. On en pleure encore.

3h10 pour Yuma (3:10 to Yuma, 1957, photo en tête de texte), dont l’action se déroule presque entièrement en huis-clos, joue plutôt dans la catégorie des westerns psychologiques, où les personnages sont confinés dans des chambres d’hôtel ou des gares, loin des grands espaces.

Ford Rainey, Felicia Farr et Glenn Ford dans Trois Heures dix pour Yuma

Ford Rainey, Felicia Farr et Glenn Ford dans 3h10 pour Yuma de Delmer Daves

Le criminel Ben Wade (Glenn Ford) est capturé dans une petite ville. Dan Evans (Van Heflin), un éleveur qui a participé à son arrestation, accepte de convoyer en secret le dangereux hors-la-loi par le train de Yuma pour une prime – son exploitation est au bord de la faillite à cause de la sécheresse – et l’estime de son fils qui trouve son père bien peu héroïque. Très vite se met en place une guerre des nerfs alors que les deux hommes attendent le train dans un hôtel, car Wade est persuadé que sa bande va venir le délivrer.

Le film repose sur un affrontement verbal entre deux personnages antagonistes qui se détestent cordialement. Wade est un hors-la-loi sans scrupule capable d’assassiner un homme de sang froid, mais c’est aussi un aventurier séducteur qui symbolise la liberté et l’aventure. Evans est pauvre, incapable de subvenir aux besoins de sa famille, prisonnier de sa condition de paysan. Ce duo impossible va cependant apprendre à s’estimer, et Wade admiratif de la rectitude morale de son geôlier finira par s’associer momentanément avec Evans, qu’il refuse de voir tué par l’un de ses sbires. Ce scénario admirable d’intelligence et de finesse (signé Halsted Welles, d’après un histoire de Elmore Leonard) est porté par une mise en scène impeccable et l’un des plus belle photographie en noir en blanc de l’histoire du western, que l’on doit à Charles Lawton Jr.

Interprétation remarquable de Glenn Ford en brigand sûr de lui et Van Heflin en antihéros courageux, dans un rôle proche de celui qu’il tenait dans L’homme des vallées perdues. Delmer Daves, qui écrivit aussi quelques chefs-d’œuvre du mélodrame, est capable d’intégrer dans ce film d’hommes des personnages féminins bouleversants, le temps de quelques scènes intimistes. La séquence finale sous la pluie est inoubliable, d’une puissance et d’un lyrisme propres à faire délirer les cinéphiles.

Un an plus tard Daves enchaîne avec un autre western avec Glenn Ford dans le rôle principal, Cow-boy (Cowboy, 1958). Le film est en Technicolor, et privilégie les extérieurs, avec de nombreux changements de décors naturels, contrairement à Trois Heures dix pour Yuma. Le film possède un ton extrêmement original, passant sans crier gare de la comédie au drame, avec des irruptions de brutalité et un traitement profondément honnête, presque documentaire, de la vie au grand air mais aussi de la cruauté et de l’état d’esprit des cow-boys pour qui la vie humaine est moins importante que leur bétail.

Envieux du train de vie des cow-boys du grand ouest américain, Frank Harris (Jack Lemmon), un simple réceptionniste de Chicago, décide de tout quitter et de rejoindre le gang de Tom Reece, un riche éleveur (Glenn Ford). Le film est l’histoire d’une rencontre, d’un voyage, et d’une transformation. Ce changement radical va affecter la personnalité de Frank qui va devenir peu à peu plus brutal, agressif et individualiste au contact de la vie sauvage, tandis que Reece au contraire prendra conscience de sa violence et s’humanisera après avoir essuyé les critiques de son nouvel associé. Là encore Daves dessine l’histoire d’un duo masculin antagoniste, deux hommes que tout oppose et qui vont d’abord se détester et se mépriser avant d’apprendre beaucoup l’un de l’autre et bâtir une relation d’estime et de respect. Jack Lemmon livre une performance étonnante, aussi crédible en citadin maladroit et déterminé qu’en apprenti cow-boy rendu à moitié fou par sa nouvelle condition d’homme de l’ouest.

Ce western anticonformiste atteint pourtant une vérité certaine dans la description de la vie de cow-boy et propose une réflexion morale sur la violence, mais aussi sur la capacité de l’homme à assouvir ses rêves et ses désirs et à se (re)connaître au contact d’autrui.

 

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