Olivier Père

La Ronde de l’aube de Douglas Sirk

Elephant édite à la vente en combo blu-ray et DVD à partir du 1er septembre trois films de Douglas Sirk réalisés pour la Universal dans les années 50 : les sublimes La Ronde de l’aube et Le Temps d’aimer et le Temps de mourir – dont nous avons déjà parlé à l’occasion de sa diffusion sur ARTE – et le moins connu mais excellent Tempête sur la colline (Thunder on the Hill, 1951), suspense policier mâtiné de mélodrame religieux situé dans un couvent d’Ecosse isolé par un déluge qu’il faut découvrir pour les magnifiques interprétations de Claudette Colbert et Ann Blyth.

La Ronde de l’aube (The Tarnished Angels, 1957) est l’un des chefs-d’œuvre absolus de Douglas Sirk, d’après Pylône de William Faulkner que Sirk voulait adapter depuis les années 30. Faulkner lui-même admirait ce que Sirk en avait fait, jugeant paraît-il le film supérieur à son roman. C’est sans doute le film américain pour lequel Sirk, bénéficiant d’une grande liberté artistique, a pu exprimer ses idées de mise en scène, d’écriture et de direction d’acteurs avec le plus de force. Il n’y a absolument rien de conventionnel ni d’hollywoodien dans La Ronde de l’aube, tragédie sur l’échec où nous sommes bien loin de l’étiquette « mélodrame flamboyant » qu’on associe trop facilement au nom du cinéaste allemand exilé aux Etats-Unis. Ici ni happy end, ni Technicolor. La sensibilité européenne de Sirk et son immense culture apparaissent dans La Ronde de l’aube qui met en scène des personnages brisés et névrosés, incapables de vivre ou d’exprimer leur amour, englués dans des relations sadomasochistes de soumission et d’humiliation. Om comprend sans peine ce qui fascinera le jeune Fassbinder dans le cinéma de Sirk, au point de raconter des histoires similaires dans ses propres films, transposées dans l’Allemagne des années 70.

Dorothy Malone et Rock Hudson dans La Ronde de l'aube

Dorothy Malone et Rock Hudson dans La Ronde de l’aube

Sirk réutilise son trio d’acteurs de Ecrit sur du vent et le redistribue dans des rôles comparables : Robert Stack incarne une nouvelle fois le mâle névrosé – présenté ici comme un impuissant, Dorothy Malone la bombe incendiaire déchainant les passions malgré elle et Rock Hudson le corps étranger témoin fasciné d’un petit théâtre de la cruauté et des désirs humains. Le monde des riches exploitants pétroliers texans se substitue aux marginaux désargentés d’un cirque aérien à la Nouvelle-Orléans dans les années 30, mais dans les deux cas il s’agit d’une petite communauté, famille recomposée fermée sur elle-même n’obéissant qu’à ses propres règles et qui se considère comme une aristocratie.

Roger Schumann (Robert Stack) est un vétéran de l’escadrille Lafayette qui répète ses exploits militaires au cour d’une dérisoire mais périlleuse course aérienne en circuit fermé, entre trois pylônes. Trompe-la-mort et suicidaire, invincible dans les airs, colérique et sans force sur terre, Schumann est l’un des « anges ternis » formant un triangle amoureux avec LaVerne (Dorothy Malone) qu’il traite comme une marchandise et son fidèle mécanicien Jiggs (Jack Carson), adorateur transi de la femme de son ami.

L’intrusion d’un journaliste alcoolique en quête d’un grand reportage (Rock Hudson) va précipiter l’explosion et la chute de cette tribu sans cesse au bord de la folie et du désespoir. L’action de La Ronde de l’aube se situe pendant le Mardi-Gras et cette ambiance de kermesse et de débauche avec des figurants masqués sortis des toiles de James Ensor exacerbe la violence et la sensualité des conflits décrits par le film, autour des thèmes de la prostitution, du pouvoir de l’argent et de la dépendance amoureuse… Les moments spectaculaires des acrobaties aériennes, loin d’exprimer une énergie libératrice sont filmés comme des ballets morbides et sexuels.

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