Olivier Père

Chasse à l’homme de Fritz Lang

Chasse à l’homme (Manhunt, 1941) est ressorti en salles mercredi 5 août, distribué par Ciné-Sorbonne.

Dans les années 40 Hollywood produit de nombreux films antinazis. Cette initiative des studios, souvent dirigés par des Juifs originaires d’Europe Centrale, rejoints par des cinéastes ayant fui l’Allemagne nazie, va anticiper l’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, puisque le premier film antinazi « officiel », produit par la Warner (Confessions d’un espion nazi de Anatole Litvak) date d’avril 1939. Les cinéastes et producteurs ont donc œuvré assez tôt pour une prise de conscience du peuple américain, tandis que le gouvernement des Etats-Unis attendra l’attaque de Pearl Harbour pour entrer dans le conflit. Durant les quatre années qui vont suivre Hollywood participera à l’effort de guerre en intensifiant la mise en chantier et la distribution de films propagandistes. Lang, comme Hitchcock, réalise durant cette période quelques-uns des plus beaux films d’espionnage de l’histoire du cinéma. Les actes de bravoure les plus extraordinaires, les rebondissements les plus romanesques sont souvent ceux inspirés par l’Histoire, tandis que l’espion ou l’aventurier se révèlent des personnages exemplaires sur le plan cinématographique, à défaut de la morale : le mensonge, l’imposture, la trahison ou le simulacre, au cœur du film d’espionnage, vont permettre à Lang (Chasse à l’homme, Les bourreaux meurent aussi, Le Ministère de la peur, Cape et Poignard) de conjuguer le suspens sentimental et policier, mettre en scène l’action mais aussi les dialogues comme des armes à double tranchant.

Chasse à l’homme a beau être une commande de la Fox – dans un premier temps proposée à John Ford, et écrite par Dudley Nichols scénariste régulier de l’auteur des Raisins de la colère, il s’agit bien sûr pour Fritz Lang d’exprimer dans ce film des convictions politiques personnelles. Le cinéaste veut absolument persuader les spectateurs américains du caractère intenable d’une prudente neutralité des Etats-Unis devant les agressions et les invasions hitlériennes en Europe, et l’urgence de venir en aide à l’Angleterre déjà engagée dans une guerre contre l’Allemagne.

Chasse à l’homme est également un film dont le budget relativement faible et l’importance mineure aux yeux de Darryl F. Zanuck patron de la Fox permettra à Lang de bénéficier d’une grande liberté artistique et d’imposer sa vision de cinéaste, signant ainsi l’un des meilleurs titres de sa période américaine.

L’action du film débute en juillet 39, deux mois avant l’invasion de la Pologne. « Thorndyke (Walter Pidgeon), un célèbre et riche chasseur de fauves anglais, parvient à s’infiltrer au plus près du Berghof d’Adolf Hitler, qu’il parvient à mettre dans son viseur. Avec son fusil à lunette il simule un tir, avant d’introduire une balle dans la culasse de son arme. C’est alors qu’il est surpris par un garde et capturé. Interrogé par un officier nazi (George Sanders), Thorndyke explique qu’il a agi par défi, pour le plaisir de la chasse, et non pour assassiner réellement Hitler. Voyant une occasion de compromettre les autorités britanniques, l’officier lui propose de signer une confession. S’il admet avoir agi sur ordre de son gouvernement, alors il sera libéré. Longuement torturé, Thorndyke refuse d’obtempérer. Le nazi décide d’organiser un simulacre de suicide, pour que sa disparition n’éveille pas les soupçons. Mais Thorndyke parvient à s’échapper, puis à quitter l’Allemagne en direction de Londres, où la chasse à l’homme continue. Traqué par des tueurs nazis jusque dans la capitale anglaise, Thorndyke trouvera de l’aide auprès d’une jeune prostituée, Jerry (Joan Bennett, formidable actrice qu’on retrouvera chez Lang à plusieurs reprises). »

Lang ne réalise pas un film de propagande, mais une œuvre romanesque, au déroulement imprévisible et au rythme trépidant. Chasse à l’homme est à la fois une réflexion sur la violence et une leçon de mise en scène. Le film débute sur une idée géniale : un homme a la possibilité de tuer Hitler en 1939, et donc de changer le cours de l’Histoire. Les assassinats politiques n’étaient pas pratiqués par les Alliés, il s’agit donc d’une pure idée de romancier – Chasse à l’homme est adapté d’un livre – puis de scénariste et de cinéaste. Cette hypothèse ouvre des perspectives vertigineuses, elle est caractéristique du cinéma de Lang. Si ce dernier condamne la violence, il pense aussi que « seule la violence aide où la violence règne » et expose avec clarté cette théorie dans Chasse à l’homme.

Le titre du film expose le mouvement du récit, dans lequel le chasseur devient gibier, puis réintègre son rôle en éliminant un nazi – pas Hitler lui-même, mais son ennemi qui est également son double négatif, à la fois Némésis et alter ego, Quive-Smith, le personnage interprété par George Sanders.

Lors de la scène d’interrogatoire du début Quive-Smith, qui se vante d’être un grand chasseur comme son prisonnier, se comporte à la façon d’un psychiatre qui explique à son patient le lapsus qu’il a commis : malgré l’absence de balle dans son fusil, Thorndyke voulait-il vraiment tuer Hitler? La violence de Quive-Smith et des Nazis à ses ordres, exprimée tout au long du film permettra in fine à Thorndyke de se persuader de la nécessité de réellement tuer le führer dans la dernière séquence.

On assiste auparavant à une répétition de la scène d’ouverture, sur un mode barbare qui renvoie aux légendes germaniques mises en scène par Lang dans Les Nibelungen. Bloqué dans une grotte, un Thorndyke barbu terrasse Quive-Smith d’une flèche lancée à travers une ouverture circulaire – en forme de cible – dans la pierre. Symboliquement, cette flèche est en fait une broche qu’il avait offerte à Jerry, la sympathique prostituée qui l’avait aidé à Londres et était tombée amoureuse de lui. On retrouve dans ces séquences avec le couple improbable – le richissime excentrique anglais et la pauvre fille perdue – le romantisme de Lang qui évoque le drame d’un amour impossible et le sacrifice d’une jeune femme, pour son héros et pour une noble cause.

Chasse à l’homme est une démonstration parfaite du génie de Lang, un chef-d’œuvre à revisiter sans cesse.

 

 

 

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