Olivier Père

Wake in Fright de Ted Kotcheff

L’actualité cinéphile de l’été permet de (re)voir deux films de l’éclectique et insaisissable réalisateur canadien Ted Kotcheff, né en 1931, qui débuta et conclut sa carrière à la télévision. L’un – Wake in Fright – devint invisible pendant plus de quarante ans malgré sa sélection au Festival de Cannes, l’autre – Rambo – est sans doute l’un des titres les plus connus et diffusés dans le monde entier depuis sa sortie triomphale.

Deux films violents et sauvages pourtant produits et réalisés dans des contextes bien différents, avec une approche diamétralement opposée, mais qui demeurent les meilleurs films de leur auteur, qui s’est aussi illustré avec talent dans la comédie.

Wake in Fright (1971) vient d’être édité dans un combo DVD et Blu-ray par Wide Side, accompagné d’un livret qui retrace l’histoire hors du commun de ce film qui amorça – avec La Randonnée de Nicolas Roeg sorti la même année – la naissance du nouveau cinéma australien, malgré le fait que ces deux longs métrages fussent réalisés par un Anglais (Roeg) et un Canadien installé à Londres (Kotcheff). La nationalité de Kotcheff et de son scénariste Evan Jones (d’origine jamaïcaine) participa à la polémique née dès la production du film, adaptation d’un roman à succès de l’Australien Kenneth Cook, que devait adapter à l’origine Joseph Losey avec Dirk Bogarde dans le rôle principal. Le film est une immersion étouffante dans l’outback. Un instituteur isolé dans une petite bourgade du désert australien, sur la route des vacances de Noël, fait escale dans une ville paumée. Il dilapide son argent au jeu, passe une nuit à boire, fait des mauvaises rencontres et manquera de perdre la raison au contact d’individus dangereux et pervers.

Wake in Fright

Wake in Fright

On parla d’une vision caricaturale et insultante des « rednecks » australiens, autochtones dégénérés videurs de bières et canardeurs de kangourous. Le propos existentialiste de Kotcheff – le personnage principal cherche à tout prix à échapper à sa condition, bloqué dans une antichambre de l’enfer avec quelques rebus de l’humanité – se situe au-delà de la localisation du film, même si le folklore et le décor australiens participent à l’effroi provoqué par ce voyage au bout de la folie. Et que plusieurs observateurs purent confirmer la véracité des coutumes décrites par Kotcheff. La première fois que j’ai entendu parler de ce film c’était en 1985 où il fut évoqué – sous son titre français Outback, réveil dans la terreur au sujet du premier long métrage de Russell Mullcahy Razorback, autre plongée – beaucoup plus superficielle – dans l’univers putride des chasseurs de kangourous. Il m’aura fallu attendre trente ans pour voir ce film, à la hauteur de sa réputation de cauchemar cinématographique. Wake in Fright baigne dans une ambiance poisseuse assez insoutenable, dans la poussière et une chaleur de fournaise, avec des scènes hallucinantes de beuveries et de massacre de marsupiaux. Spécialiste des rôles inquiétants, le comédien britannique Donald Pleasence (photo en tête de texte) y interprète le personnage le plus taré de sa longue et excentrique carrière, psychopathe et prédateur sexuel dans les griffes duquel va tomber notre infortuné instituteur.

Wake in Fright

Wake in Fright

On est devant un film vraiment dérangeant, presque une anomalie y compris au début des années 70 où les cinéastes du monde entier n’avaient pas peur de réaliser des films sauvages. Ce fut un échec commercial au moment de sa sortie et les négatifs furent longtemps perdus, et même voués à la destruction, avant qu’une restauration miraculeuse permette cette résurrection que ne devront rater sous aucun prétexte les amateurs de films hors-normes.

Demain je parlerai de Rambo, ce si vif souvenir d’enfance.

 

 

 

 

Catégories : Actualités

Un commentaire

  1. Bertrand Marchal dit :

    Un film qui m’a mis très mal à l’aise. Le massacre des kangourous en particulier. Je n’admets pas qu’on tue des animaux pour un film. La Règle du Jeu fait aussi ce sacrifice, parce que Renoir tenait à dire toute l’horreur qu’il avait des armes à feu et de la violence qui se cache mal sous les bonnes manières. Mais un sous-texte quel qu’il soit doit pouvoir se passer du sang versé, et aucun film ne peut tirer de la gloire de la vraie mort.

    Ici, pas de sous-texte, seule la bêtise brute qui se mêle à la perversion des sentiments. On y apprend que 50°au soleil rend dingue et qu’un horizon qu’on peut embrasser à 360° n’aide pas à se refaire une santé mentale. La crudité de ce cauchemar poisseux, sa désespérance générale, c’est la force du film. Kotcheff n’est pas un cinéaste aimable – des raisons personnelles que j’ignore.

    Tous les films ont des raisons d’exister, mais certains, comme celui-ci, tournent ostensiblement le dos au spectateur en lui opposant un monde effondré, décrépi, sans espoir, sans lumière, sinon celle de cet enfer dément. Je reconnais son intensité, son jusqu’au boutisme, sa place dans le cinéma le plus viscéral, mais c’est aussi un film qui salit le spectateur lui-même. On en sort avec un vrai dégout.

    C’est typiquement un de ces films que je ne voudrais pas posséder. Impossible de l’admirer, impossible même d’envisager de le voir une seconde fois. Il faut cuver son écœurement et ça prendra du temps!

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