Olivier Père

Au fil du temps de Wim Wenders

Dans le cadre de son hommage en cinq longs et deux courts métrages à Wim Wenders ARTE diffuse lundi 3 août à 22h30 Au fil du temps (Im Lauf der Zeit, 1976) sans doute son chef-d’œuvre, du moins son film le plus important, dans sa filmographie et dans le panorama du jeune cinéma allemand des années 70 où il occupe une place centrale.

Comme toujours chez Wenders il s’agit pour les personnages (et le cinéaste lui-même) de se définir dans un espace donné – la campagne allemande, longeant la frontière séparant l’est et l’ouest du pays – et par rapport à un héritage, cinématographique et historique.

Au fil du temps, sorte de « road movie » ultime de la modernité européenne, se déroule dans un paysage allemand, hanté par les souvenirs du national-socialisme, anecdotes des personnes âgées ou fétiches incongrus, mais l’imaginaire de Wenders est américain. Avec son directeur de la photographie Robby Müller il s’inspire des célèbres clichés en noir et blanc de Walker Evans tandis que la bande musicale est constituée de Rock n’ Roll. Les pères de substitution de Wenders se nomment Nicholas Ray – citation d’une scène des Indomptés lors de la fugue nocturne dans une maison sur une île de l’Elbe) et Fritz Lang, le grand cinéaste de l’expressionnisme qui quitta l’Allemagne nazie pour poursuivre sa carrière à Hollywood, et qui apparaît deux fois en photographie dans des cabines de projection. Au fil du temps enregistre aussi le désastre du cinéma allemand de l’après-guerre, réduit à des sous-produits pornos ou folkloriques, projetés dans des salles désertées au bord de l’abandon. Mieux vaut que le cinéma meure plutôt qu’il abrutisse ou dégoûte les spectateurs avec des images tristes et obscènes, telle est le propos d’une vieille gérante de salle à la fin du film, discours qui est celui de Wenders qui parlait à l’époque de « cinéma du mépris » et a construit son œuvre sur les ruines d’une industrie corrompue par la guerre et le nazisme.

La route et la salle obscure, comme des métaphores du besoin vital de voyager et de faire son deuil. Wenders franchira bientôt le cap, s’envolant pour les Etats-Unis et faisant tourner ses amis et maîtres américains, mais il est pour l’instant coincé dans un pays trop petit pour lui, visitant avec ses deux héros les coins les plus paumés et les salles de patronage les plus pourris de l’Allemagne profonde. Malgré la sinistrose ambiante Au fil du temps reste pourtant son film le plus excitant et même le plus drôle, grâce au dandysme parfait de Rüdiger Vogler («  King of the Road ») et Hanns Zischler (« Kamikaze »), premier grand couple « hétéro-gay » chez Wenders (avant Bruno Ganz et Dennis Hopper dans L’Ami américain, où la femme est encore réduite à de la figuration), grâce à la liberté de Wenders aux commandes d’une équipe légère et d’une aventure cinématographique qui s’invente au fur et à mesure de son tournage, en totale adéquation avec son projet, rendre compte de son pays ici et maintenant, grâce à l’exceptionnelle et nécessaire durée du film qui inscrit le temps, ses lenteurs et se fulgurances, dans son écriture formelle.

 

 

Au film du temps est également disponible en Replay sur ARTE+7.

 

 

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