Le voici donc ce film monstre, ce film monde à l’ambition si folle et à la matière si riche que le long métrage s’est métamorphosé sur la table de montage en trois films distincts qui poursuivent le même projet : mettre en scène l’état d’âme de tout un pays, le Portugal, au travers d’histoires entendues, racontées ou puisées dans les pages politique ou faits-divers des journaux régionaux ou nationaux.
Après La gueule que tu mérites (2004), Ce cher mois d’août (2008) et Tabou (2012) qui étaient déjà d’une beauté et d’une inventivité sidérantes, Miguel Gomes imagine dans cette nouvelle lecture des célèbres contes orientaux que Shéhérazade puise chaque nuit son inspiration dans la crise économique qui frappe de plein fouet le Portugal. Miguel Gomes parle de son pays aujourd’hui, enregistre un désastre et en rend compte d’une manière inédite, en proposant une foule de récits tragiques, comiques, fantastiques, directement inspirés de la réalité factuelle vécue au Portugal sur une période de douze mois, période qui correspond au tournage itinérant du film. « Des histoires avec des riches et des pauvres, des hommes puissants ou anonymes, des enfants et des vieux, des humains et des animaux. » (Miguel Gomes)
Quand la fable rejoint notre société, dans un style et une approche à la fois modernes, archaïques, poétiques et journalistiques (avec des méthodes d’écriture et de tournage très originales), le projet de Gomes rejoint les films enquêtes de Pasolini mixés à sa « trilogie de la vie » version contemporaine (Les Mille et Une Nuits, déjà) et aussi Non ou la vaine gloire de commander, autre chef-d’œuvre monumental, dans lequel Manoel de Oliveira se penchait sur l’histoire et la psychologie du Portugal en racontant ses plus grandes défaites militaires.
Le retour cyclique d’une troupe d’acteurs et actrices dans des rôles différents selon les histoires confère également une dimension baroque et théâtrale à ces Mille et Une Nuits qui embrassent le cinéma et la vie, la réalité et l’artifice avec le même élan dénué d’emphase, la même grâce qui n’a pas besoin de souligner ses effets poétiques. Gomes procède à un mélange des genres enivrant, bercé par des chansons et musiques enchanteresses.
Chaque film des Mille et Une Nuits possède une tonalité propre, comme l’indiquent les trois sous-titres. Le premier volume, L’Inquiet, est aussi le plus hétérogène dans sa volonté accueillir différents chapitres d’horizons et d’humeur très variés, du faux journal intime d’un cinéaste rechignant à se mettre à l’ouvrage (Gomes lui-même) à la reconstitution farcesque et triviale d’une réunion d’hommes politiques atteints de priapisme, jusqu’aux segments documentaires qui intègrent des témoignages bouleversants de chômeurs victimes de la crise. Sans oublier l’histoire (vraie, bien entendu) d’un coq cible d’un procès judiciaire parce que son chant réveillait les habitants d’une petite ville sur les bords du fleuve Douro.
A suivre…
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