Bach Films régale encore les cinéphiles avec une salve de DVD dans la collection « Les grands classiques du cinéma italien » : neuf titres essentiels signés par des réalisateurs prestigieux et réalisés dans les années 30 et 40, disponibles pour la première fois en DVD en France, dont l’importance a parfois été occultée par leur rareté et la notoriété d’autres films plus célébrés de ce côté des Alpes.
Parmi ces films que nous sommes en train de voir ou revoir, Le Bandit (Il bandito, 1946) est l’un des plus remarquables. Il est réalisé par Alberto Lattuada, cinéaste extrêmement talentueux et assez inclassable puisqu’il traversera plusieurs mouvements et tendances du cinéma transalpin (calligraphisme, néo-réalisme, reconstitutions historiques, comédies à l’italienne…) toujours avec la même singularité. Le Bandit est passionnant à plus d’un titre : d’abord parce qu’il dresse le portrait, un an après Rome, ville ouverte, d’une Italie en ruine dévastée moralement et économiquement par la guerre. L’action débute avec le retour de soldats italiens prisonniers en Allemagne. Après des années de souffrance ils retrouvent leur pays dévasté par les bombardements et la misère. La situation décrite par Lattuada est contemporaine de son tournage, ce qui confère au film une dimension documentaire. La force du cinéma italien fut de descendre dans la rue et de filmer son histoire en marche dans l’urgence, avec toutefois un regard critique et réflexif. Lattuada, comme Rossellini, enregistre la réalité de l’après-guerre en y cherchant une signification. Leurs écritures cinématographiques diffèrent pourtant radicalement.
Pour parler de la corruption morale qui règne en Italie et des désillusions de son personnage principal, un brave prolétaire espérant retrouver sa famille à Turin, Lattuada emprunte très vite le style du film noir, réalisant avec Le Bandit un classique du cinéma policier italien. Un dramatique enchaînement de circonstances conduit l’honnête Ernesto (Amedeo Nazzari, acteur populaire et viril héros des mélodrames de Matarazzo) à fréquenter la pègre turinoise puis à devenir lui-même un gangster sans pitié. Les scènes de violence telles l’exécution sommaire d’un témoin ou un règlement de compte entre truands s’inspirent du style expressionniste des chefs-d’œuvre du film noir américain comme Le Petit César ou Scarface. La scène où Ernesto et les membres de son gang – parmi lesquels un bossu et un inverti – arrivent dans une réception mondaine et dépouillent les riches invités de leurs bijoux et leur argent sera reprise dans un polar sécuritaire de Lenzi avec Tomas Milian dans les années 70. Anna Magnani interprète Lidia, archétype de la garce, une femme dangereuse et immorale, pour laquelle Ernesto éprouvera d’abord un puissant désir sexuel, puis du dégoût.
Ce personnage féminin incarne une dimension primordiale dans Le Bandit et dans l’œuvre de Lattuada en général : celle de la sensualité. Lattuada était un érotomane et l’on trouve immanquablement dans ses films de très belles actrices, de plus en plus jeunes et dénudées tout au long de sa carrière. Avant de se spécialiser dans la découverte de nymphettes dans les années 70, Lattuada accordait déjà à l’érotisme une place importante dans ses films, même les plus sérieux comme Le Bandit. Au début du film une affiche de danseuse légère dans la rue souligne la frustration sexuelle du héros, ancien soldat et prisonnier de guerre. Une scène troublante le voit suivre une femme vue de dos dans la rue jusqu’à un bordel où l’on découvre que l’inconnue est sa sœur portée disparue et devenue prostituée pour survivre. L’invraisemblance de la situation – qui se reproduira lors de la partie finale du film, lorsque Ernesto arrache des griffes des gangsters en cavale une fillette qui se révélera être sa protégée qu’il n’a jamais rencontrée, fille de son compagnon d’infortune en Allemagne auquel il avait promis une amitié indéfectible – fait accéder Le Bandit au niveau de la tragédie. La figure féminine dans Le Bandit est intimement liée à la mort. La pulsion sexuelle d’Ernesto ne lui permettra pas d’échapper à son funeste destin, mais il trouvera le chemin de la rédemption avant de mourir sous les balles des policiers comme tout gangster tragique qui se respecte – on pense à Bogart ou à Gabin.
Dès 1946 dans un compte-rendu sur le film, le poète surréaliste Paul Eluard fut sans doute le premier à souligner l’importance de la sexualité dans le cinéma de Lattuada : « On ose montrer dans ce film une réponse aussi bien à son désir d’un meilleur sort après ses souffrances qu’à ses rêves érotiques. »
(Office professionnel du cinéma, Cannes, 1946)
Le Bandit, comme tous les films de la collection, est très bien présenté et commenté par Jean A. Gili, critique et historien du cinéma spécialisé dans la production et les auteurs italiens, auxquels il a consacré de nombreux ouvrages de référence.
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