Mal reçu à sa sortie et considéré comme une petite production horrifique malade et malsaine (ce fut un échec cinglant, classé X, censuré voire banni dans de nombreux pays comme le Royaume-Uni pour ses excès « gore » et SM), Vidéodrome (Videodrome, 1983) est le grand film prophétique des années 80, un manifeste sur les nouvelles images, nocives et cannibales. Il ressort le mercredi 29 octobre en salles, distribué par Splendor Films, dans une version restaurée. On se souvient de la découverte de ce chef-d’œuvre adolescent en mai 1984, soit après le film suivant de Cronenberg Dead Zone. Le film était sorti en catimini pendant le festival de Cannes où il n’était bien sûr pas invité, défendu seulement par une poignée de critiques cinéphiles, avec l’accroche publicitaire élogieuse de Andy Warhol qui le désignait comme « le Orange mécanique des années 80. » Sans parler de l’érotisme insensé du personnage interprété par Deborah Harry, égérie rock du groupe « Blondie » dans le plus grand rôle de sa maigre carrière au cinéma. Un choc inoubliable qui sera suivi par de nombreuses autres visions, sur différents supports, même si après le film et ses fameuses séquences de VHS organiques vous ne pouviez plus regarder votre matériel « home vidéo » du même œil.
Max (génial James Woods), le directeur cynique d’une petite chaîne de télévision câblée spécialisée dans le sexe et la violence, en quête perpétuelle de sensations fortes à offrir à ses abonnés, découvre le programme pirate « Vidéodrome », qui montre des images de jeunes femmes ligotées et fouettées. Apparemment, ces scènes de tortures sont non simulées et provoquent chez Max de dangereuses hallucinations (qui n’en sont peut-être pas) et son enveloppe charnelle subit d’atroces métamorphoses. Son estomac se transforme en magnétoscope, sa main en arme à feu, et il devient peu à peu l’instrument d’une machination qui le dépasse.
Vidéodrome délaisse très vite l’idée des « snuff movies » qui fait surtout fantasmer les imbéciles pour proposer une réflexion philosophique sur l’altération de la réalité, déclinant avec une incroyable intelligence visionnaire les transformations chimiques du corps et autres complots politico-médiatiques chers à Cronenberg. Bien avant la vulgarisation de la cyberculture, du tout à l’image et du virtuel, Cronenberg prophétise un monde menacé par le totalitarisme des images dépouillées du moindre référent réel, utilisées comme des drogues aliénantes. Les forces de résistance prônent l’avènement d’un messianisme new age et d’un homme nouveau, fruit d’une mutation organique, chimique et électronique (« Mort à Vidéodrome, longue vie à la nouvelle chair »). Vidéodrome aborde la dictature des images dans les années 80 sur un mode sexuel et violent, eXistenZ déclinera dix ans plus tard les mêmes thèmes sur un mode ludique en prenant comme prétexte l’univers des jeux virtuels.
Cronenberg n’est pas passé d’un cinéma organique à un cinéma intellectuel, contrairement aux idées reçues. Son dernier grand film en date, le génial A Dangerous Method, ne parle que des rapports conflictuels et douloureux entre le corps et l’esprit, via l’invention de la psychanalyse et le traitement des troubles psychosomatiques et hystériques. C’était déjà le sujet de Chromosome 3 (The Brood), l’un des premiers et remarquables films d’horreur du cinéaste canadien.
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