Olivier Père

La Peau douce de François Truffaut

Après Tirez sur le pianiste ARTE poursuit son cycle consacré à François Truffaut avec la diffusion le lundi 27 octobre à 20h45 de La Peau douce (1964). Cycle réalisé en collaboration avec la Cinémathèque française qui organise du 8 octobre au 25 janvier une vaste programmation et une exposition consacrée au cinéaste, figure emblématique de la Nouvelle Vague et du cinéma français, mais aussi de la critique et de la cinéphilie.

La filmographie de Truffaut débute sur un coup de tonnerre, Les Quatre Cents Coups (bientôt diffusé sur ARTE) qui connait un grand succès international et installe les fondements de son œuvre : l’intérêt pour l’enfance, le besoin de se raconter pour aboutir au romanesque, le choix d’un classicisme plus audacieux qu’il n’y paraît… La carrière de Truffaut se partagera ensuite entre films « aimables » et voués à un accueil chaleureux de la critique et du public et les films « intimes », tourmentés et nerveux, dans lesquels le cinéaste se dévoile avec impudeur et aborde de front ses véritables obsessions : les femmes, la passion, la mort. La Peau douce, échec cinglant au moment de sa sortie, réhabilité depuis et considéré à juste titre comme l’un des meilleurs films de son auteur, appartient évidemment à la seconde catégorie.

La Peau douce est produit et réalisé rapidement, en attendant que Truffaut puisse tourner un projet plus compliqué à monter, son film de science-fiction Fahrenheit 451 d’après le roman de Ray Bradbury. La Peau douce prend comme point de départ un fait-divers découvert dans un journal, le meurtre au fusil de chasse d’un mari infidèle par sa femme trompée. Truffaut aimait puiser dans la presse les arguments de ses films, tout autant que dans les livres ou sa propre vie. Au-delà de son sujet, l’adultère, Truffaut injecte des éléments autobiographiques dans La Peau douce, comme dans la plupart de ses films. Il n’est pas difficile de rapprocher les mésaventures sentimentales de Lachenay, écrivain à succès, avec celles de Truffaut, cinéaste à succès.

Nous sommes pourtant loin de toute complaisance ou narcissisme, au contraire. La Peau douce est sans doute le film le plus sec, le moins romantique de Truffaut. Le personnage de Lachenay apparaît comme un personnage pathétique, complètement dépassé par la situation, incapable de prendre les bonnes décisions ou de raisonner, le comble pour un intellectuel spécialiste de Balzac et des grands romanciers français, fins analystes de la passion amoureuse. Lachenay commet toutes les erreurs possibles, il s’enfonce dans un mélange de culpabilité et de veulerie. Le choix d’un acteur issu de la Comédie-Française et au cinéma de la fameuse « Qualité française » vilipendée par Truffaut, Jean Desailly (qui s’entendra d’ailleurs fort mal avec le réalisateur) au physique un peu mou vient souligner ce manque d’empathie que l’on est en droit de ressentir pour Lachenay. Les personnages féminins eux aussi distillent un sentiment de malaise, entre une épouse hystérique et trop sûre d’elle et une maîtresse immature et inconséquente (superbe Françoise Dorléac, dans son plus beau rôle).

La Peau douce est aussi – et surtout – un sommet dans l’œuvre de Truffaut en raison de la précision de sa mise en scène. Truffaut vient de terminer son livre d’entretiens avec Alfred Hitchcock, dans lequel il décortique, avec la complicité du maître, l’art de la mise en scène du réalisateur des Enchaînés. La Peau douce est sans doute le film le plus hitchcockien de Truffaut, qui se souvient de certains préceptes de Hitchcock sur le suspens dans ses thrillers policiers ou d’espionnage en les appliquant à une triviale histoire d’adultère ancrée dans la réalité française. Le premier moment de trouble entre les deux futurs amants dans un ascenseur d’hôtel, leur fugue contrariée dans une petite ville de province et d’autres séquences encore procèdent à une dilatation du temps, à un jeu des regards et des non dits directement influencés par le cinéma de Hitchcock. Ainsi Truffaut exprime-t-il avec autant de fièvre dans La Peau douce sa passion du cinéma et son amour des femmes. Sans oublier les détails érotiques qui parsèment le film, fixations fétichistes sur des détails vestimentaires de sa maîtresse, les chaussures à talons hauts qu’elle met dans l’avion, la jupe qu’elle enfile en vitesse car son amant est contrarié de la voir en jeans, les bas retenus par des porte-jarretelles. Avec la complicité de ses complices habituels le directeur de la photographie Raoul Coutard et le compositeur Georges Delerue, particulièrement inspirés, François Truffaut réalise un chef-d’œuvre, capable de nous bouleverser davantage à chaque nouvelle vision.

 

Nous vous invitons à consulter notre dossier spécial François Truffaut

http://cinema.arte.tv/fr/dossier/francois-truffaut

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