ARTE diffuse jeudi 18 septembre à partir de 20h50 les deux premiers épisodes de la formidable série de Bruno Dumont Pt’it Quinquin : « L’Bet’humaine » et « Au coeur du mal ». Les deux épisodes suivants « L’diable in perchonne » et « Allah Akbar! » seront diffusés jeudi 25 septembre aux mêmes horaires. cette diffusion survient après la présentation triomphale de cette mini-série pas comme les autres à la Quinzaine des Réalisateurs lors du dernier Festival de Cannes.
Ce n’est pas la première fois qu’une série télévisée est présentée à Cannes : on se souvient de Carlos d’Olivier Assayas qui créa un précédent, pour la bonne cause – grande réussite – et pas plus tard que l’année dernière Top of the Lake de Jane Campion. A chaque fois, il s’agit d’un format télévisuel – la mini série – investi et réinventé par un grand auteur du cinéma contemporain. C’est de nouveau le cas avec P’tit Quinquin de Bruno Dumont, série en quatre épisodes coproduite par ARTE et prochainement diffusée sur la chaine franco-allemande. Dans notre esprit Bruno Dumont était le cinéaste le plus éloigné possible de la télévision, son esthétique, ses libertés mais aussi ses contraintes. Réfractaire à la commande, c’est pourtant son producteur Jean Bréhat qui lui a proposé de travailler sur une série. Bien lui en a pris. Dumont ne transige en rien sur son sens incroyable du cadre et de la mise en scène, et encore moins sur son désir de travailler avec des acteurs non professionnels, dans son territoire de prédilection, le Nord de la France (ici un village côtier du Boulonnais.) P’tit Quinquin reprend le principe de L’Humanité, à savoir une enquête policière sur des meurtres particulièrement étranges et retors qui se transforme en combat contre le Mal absolu, avec ici le Diable qui rôde dans la campagne et les plages du Nord, dissimulé sous le casque d’un mystérieux motard. Comme un polar télévisuel lambda on assiste à une succession de meurtres bizarres (un corps de femme décapité et coupé en morceaux enfoncé dans le ventre d’une vache, quand même), aux interrogatoires des témoins et des suspects, la découverte de secrets familiaux, de haines tenaces et de trahisons conjugales. Comme les autres films de Bruno Dumont les acteurs sont des non professionnels qui apportent une intensité physique exceptionnelle et une vérité que le cinéaste sait si bien capter chez ses « modèles », dont la beauté échappe au formatage des canons cinématographiques classiques, mais évoque la peinture sacrée. Ce qui en revanche détonne et étonne c’est l’humour avec lequel Bruno Dumont traite son sujet. On connaissait son admiration pour Bresson, Dreyer, on découvre ici une veine burlesque qui doit tout à Tati période Jour de fête, mais qui fraye aussi sur les sentiers sauvages de Mocky, des Marx Brothers et de choses encore plus triviales – la comédie populaire française nanardeuse – mais au combien réjouissantes et hilarantes. Le duo formé par le commissaire de gendarmerie et son adjoint, couple antagoniste et inséparable, est un modèle du genre. Le commissaire est irrésistible avec ses saillies gestuelles et verbales inattendues, ses tics, sa maladresse, son incompétence et une poésie de tous les instants qui en font un cousin Ch’ti de l’inspecteur Clouseau incarné par Peter Sellers, une version straubienne de Groucho Marx. Nous tombons amoureux de tous les personnages de P’tit Quinquin, sans doute comme Dumont avant nous. Le cinéaste s’adapte à la perfection à une nouvelle temporalité, et ne cède rien : toujours la même exigence formaliste, toujours la même morale de mise en scène. Si le film est tordant, truffé de gags et d’injonctions cocasses, il sait aussi être tragique – notamment sur la question du raciste, de l’exclusion et de l’amour impossible -, développant des intrigues parallèles qui concernent les jeunes, enfants en adolescents spectateurs ou adjuvants de l’enquête menée par les adultes. Toute la tendresse, la pureté et la cruauté dont peuvent être capables les enfants sont contenues dans P’tit Quinquin, et Dumont se révèle un extraordinaire observateur de l’enfance.
D’ores et déjà, aux côtés de Twin Peaks (que Dumont n’a jamais vu, et moi non plus) et des Cinq Dernières Minutes, un chef-d’œuvre de la série policière, un ovni télévisuel qui tient du miracle, P’tit Quinquin est avant tout une nouvelle pierre, ou plutôt l’un des sommets de cette cathédrale de la foi cinématographique bâtie par Bruno Dumont de film en (télé)film.
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