ARTE diffuse Somewhere (2010) de Sofia Coppola mercredi 20 août à 20h50.
Sofia Coppola aime les hôtels et les lieux clos, à la fois luxueux et anxiogènes. Après un grand hôtel international à Tokyo (Lost in Translation) et le château de Versailles (Marie-Antoinette) elle investit le célèbre Château Marmont de Los Angeles, hôtel chic sur Sunset Boulevard construit en 1920 réputé pour abriter le repos ou les excès de nombre de rock stars et d’acteurs hollywoodiens. C’est là que s’est installé Johnny Marco (Stephen Dorff, émouvant) pseudo vedette à la vie dissolue, dont le morne quotidien s’étiole entre gueules de bois, filles faciles et coups de téléphone de son agent pour assurer la promotion de ses films. Quelques jours avec sa fille de onze ans – il est divorcé – vont l’amener à prendre conscience de la vacuité de son existence.
Sofia Coppola saisit avec beaucoup de finesse et de précision des moments banals, sentimentaux, ridicules ou dérisoires qui dessinent le portrait en creux d’un homme sans qualité, enveloppe vide, poussière dans l’usine à rêve.
Si la première scène d’un film est censée résumer le film tout entier, alors Somewhere commence très fort : un plan fixe montrant une voiture de sport faire des boucles sur une route dans le désert. D’autres plans fixes capteront Johnny Marco ou plutôt l’épingleront dans un cadre serré de chambre d’hôtel, d’ascenseur ou de couloir, le plus impressionnant demeurant celui dans lequel l’acteur doit rester immobile plusieurs minutes un masque de latex sur le visage, pour la préparation d’un effet spécial. Situation absurde et humiliante qui résume la situation de l’acteur, dont le métier n’est plus de jouer et d’exprimer des émotions mais seulement de prêter son enveloppe physique, simple maillon d’une production industrielle. Prisonnier de son image, enfermé dans une prison dorée, Johnny Marco tourne en rond, n’a rien à faire et nulle part où aller. Le titre Somewhere (Over the Rainbow) renvoie à une moitié de conte de fées hollywoodien (Le Magicien d’Oz et son invitation au rêve) mais peut aussi se lire « nowhere », soit Le grand nulle part que constitue la cité des anges (déchus).
Le dernier plan de Somewhere, de nouveau avec le désert et la voiture, permettra au personnage de s’échapper enfin, dans un geste aussi radical que libre et désespéré. A l’image du film.
Entretemps, on aura vu Johnny Marco s’endormir devant un numéro de lap dance, exécuté en privé dans sa chambre par deux jumelles blondes à l’érotisme aseptisé, s’endormir entre les jambes d’une conquête d’un soir, sur le sofa, dans son lit, au bord de la piscine… bafouiller des embryons de réponses à des questions stupides durant une conférence de presse… C’est le courage formel d’un film américain construit entièrement sur des temps morts, cette crise permanente de l’image action qui défie ce refus angoissé du vide, du silence et de la lenteur qui caractérise 95% de la production cinématographique aux Etats-Unis. Cette asthénie chronique de Johnny Marco, provoquée par l’alcool ou simplement l’ennui file la métaphore de la Belle au bois dormant (Sleeping Beauty) qui traverse tout le film, conte de fées désenchanté : ce n’est pas la belle qui dort mais le prince charmant, enfermé dans son château (Marmont) et émotionnellement anesthésié, et seule sa fille – jolie princesse – parviendra à le réveiller le temps d’un week-end passé ensemble, au cours duquel l’amour qu’il éprouve pour sa fille pré adolescente (merveilleuse Elle Fanning) même s’il ne l’exprime que maladroitement, le sortira de sa léthargie.
Film sensible et cruel, profondément moderne, Somewhere documente avec beaucoup de précision le Los Angeles de la fin des années 2000, sa beauté paradoxale, entre histoire et amnésie. Loin des clichés de la jeune fille gâtée et snob qu’elle entretient, Sofia Coppola est une cinéaste qui réalise des films profonds sur la superficialité, des films intelligents sur le vide, réellement mélancoliques et capable de toucher la vérité des êtres, des relations humaines et de notre époque. Soit l’exacte définition du mot trop galvaudé et déprécié de « branché. »
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