Bac vidéo réédite en DVD, en vente depuis le 8 avril, sept films d’Ernst Lubitsch réalisés entre 1932 et 1948 : Si j’avais un million (film collectif à sketches qui porte la marque du cinéaste), Une heure près de toi, Sérénade à trois, Ange, La Huitième Femme de Barbe Bleue, La Folle Ingénue, La Dame au manteau d’hermine (son ultime film, le deuxième en couleurs, terminé après sa mort par Otto Preminger.) Presque tous des chefs-d’œuvre – avec une mention particulière pour le sublime Ange avec Marlene Dietrich, et Une heure près de toi que nous adorons par-dessus tout et qui à notre connaissance n’était pas encore disponible en Zone 2.
Adaptée d’une pièce de Lothar Schimdt, cette opérette ou « comédie chantée » comme c’était la mode dans les années 30 dépasse en perfection et en sophistication toutes les marivaudages mondains produits à Hollywood et ailleurs à la même époque et impose définitivement Lubitsch, déjà auteur de nombreuses réussites en Allemagne et aux Etats-Unis, comme le prince de la comédie, grâce à ce savant dosage de luxe, d’humour et d’érotisme qui caractérisait son art.
Une heure près de toi (One Hour with You, 1932) est la nouvelle version d’un film muet de Lubitsch réalisé en 1924, Comédiennes (The Marriage Circle) : pratique courante à Hollywood où plusieurs grands réalisateurs ont signé des remakes de leurs propres films, souvent plus réussis que l’original. C’est le cas ici, même si Comédiennes était déjà un film magnifique. Accaparé par le montage compliqué de L’homme que j’ai tué (l’un des seuls drames du réalisateur) Lubitsch devait au départ de contenter de produire Une heure près de toi, en confiant la mise en scène au débutant George Cukor. Celui-ci devait se contenter d’appliquer à la lettre des indications de Lubitsch qui avait minutieusement préparé le plan de travail du film. Finalement Lubitsch reviendra aux manettes d’Une heure près de toi et ne gardera pas grand-chose du travail de Cukor, remercié en cours de tournage mais néanmoins crédité au générique (« assisted by George Cukor ».) Il est vrai qu’Une heure près de toi est du pur Lubitsch, véritable manifeste de la fameuse « Lubitsch’s Touch. » Le film se déroule dans la haute société parisienne, ce qui légitime l’inimitable accent français de Maurice Chevalier. Il interprète un médecin baignant dans le bonheur conjugal trois ans après son mariage avec la belle Colette, qu’il désire plus que toutes les maîtresses du monde. Mais la meilleure amie de Colette, l’ensorceleuse Mitzi, va tout faire pour semer le désordre en usant de ses charmes pour séduire l’infortuné docteur, les nerfs à vif devant une tentation aussi grande. Dans les coulisses, un courtisan transi de Colette, et le mari de Mitzi qui ne rêve que d’un divorce en établissant les preuves des infidélités de sa femme interviennent pour notre plus grand plaisir. Les situations sont aussi irrésistibles que les dialogues plein d’esprit. La mise en scène n’est pas en reste, avec l’idée très drôle des apostrophes de Maurice Chevalier aux spectateurs, sans compter l’élégance absolue du montage et l’art de Lubitsch des intermèdes, des entrées et sorties du plan des personnages. Placer la fidélité au cœur de cet éloge de la séduction et de la sensualité est bien sûr une astuce de Lubitsch pour tromper la vigilance de la censure, mais c’est aussi une façon originale de traiter d’un dilemme moral plus profond qu’il n’y paraît, autour de faux-semblants, de mensonges et de malentendus qui mettent en danger puis rétablissent l’harmonie d’un couple. Dans Une heure près de toi le désir n’est rien sans l’amour et l’amour n’est rien sans le désir, c’est le mariage des deux qui créée le bonheur parfait. Le film de Lubitsch demeure l’une des meilleures comédies jamais réalisées, à l’interprétation étincelante (le couple Chevalier Jeannette MacDonald une nouvelle fois réuni à l’écran, entouré par Genevieve Tobin, Charles Ruggles et Roland Young) et aux chansons réjouissantes.
Laisser un commentaire