Olivier Père

L’Adieu aux armes de Frank Borzage

Dans le cadre de son cycle de films autour du centenaire de la Première Guerre mondiale ARTE diffuse ce soir L’Adieu aux armes (A Farewell to Arms, 1932) de Frank Borzage, à 22h15.

Nous gardons du roman d’Ernest Hemingway l’un de nos plus émouvant souvenir de lecture – le seul livre ayant réussi à nous faire pleurer, alors qu’il y a tant de films…

Aussi beau soit-il, le film de Borzage ne retient pas grand-chose de l’œuvre en partie autobiographique du romancier américain, ni dans son histoire ni surtout dans son style. Il est en même, par bien des aspects, l’exacte antithèse. Stoïcisme de Hemingway contre exaltation de Borzage. La retenue et la sécheresse de l’écriture de Hemingway cèdent la place au romantisme et au lyrisme de Borzage, sa fantaisie aussi comme en témoigne la scène de rencontre entre les deux futurs amants, autour d’une confusion éthylique et d’une chaussure de femme. Le cinéaste se sert du roman d’Hemingway comme d’un prétexte pour raconter une histoire d’amour fou en temps de guerre, entre un jeune engagé volontaire à la Croix-Rouge américain (Gary Cooper) et une infirmière britannique (Helen Hayes), sur le front italien. Le contenu scabreux pour l’époque – liaison et grossesse hors mariage, désertion, pacifisme –valut au film de sérieux déboires avec la censure catholique, surtout au moment de sa ressortie quelques années après sa première exploitation commerciale puisqu’il connut de nombreuses coupes qui le dénaturèrent complètement, avant que la version intégrale ne soit enfin rétablie à la fin des années 90.

La diffusion de ce soir permettra de constater une nouvelle fois ou de découvrir le talent de Borzage, cinéaste d’une grande sensibilité, excellent directeur d’acteurs et poète de l’image dont l’art mêle mysticisme et sensualité, capable de surprenantes trouvailles visuelles, comme cette séquence en caméra subjective lorsque le personnage de Gary Cooper, blessé, s’éveille à l’hôpital, ou sonores, comme le recours au motif symphonique final de «Tristan et Yseult » de Wagner lors du dénouement tragique.

Gary Cooper et Helen Hayes

Gary Cooper et Helen Hayes

On renverra aussi à la lecture du superbe ouvrage de référence sur Frank Borzage (« un romantique à Hollywood »), signé Hervé Dumont et publié par L’Institut Lumière / Actes Sud, qui souligne les nombreux symboles maçonniques qui parsèment le récit et la mise en scène de L’Adieu aux armes, dont le héros est un étudiant en architecture, et qui témoignent de l’implication de Borzage dans un long métrage qu’il n’hésitait pas à désigner comme son chef-d’œuvre. Dumont évoque aussi la récente hypothèse du directeur de la photographie espagnol José Luis Alcaine selon laquelle Picasso se serait inspiré des scènes de batailles de L’Adieu aux armes, d’une grande force allégorique et elles-mêmes sous l’influence du caligarisme, en rupture avec l’esthétique générale du film, pour composer son célèbre tableau « Guernica. »

Le roman de Hemingway fera l’objet d’une nouvelle adaptation en 1957, sous le même titre, produite par David O. Selznick avec un scénario de Ben Hecht, avec Rock Hudson et Jennifer Jones dans les rôles principaux. Mélodrame à grand spectacle honorable mais conventionnel qui souffre notamment de l’absence d’alchimie entre ses deux interprètes.

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