Olivier Père

La gueule que tu mérites et Redemption de Miguel Gomes

Shellac vient d’éditer les trois longs métrages de Miguel Gomes en DVD et distribue au cinéma depuis mercredi 4 décembre son nouveau court métrage Redemption présenté à la Mostra de Venise. Initiative originale pour un film de 27 minutes mais qui se justifie par la beauté de l’œuvre, petit précipité du talent et de la personnalité hors du commun de Miguel Gomes.  Miguel Gomes est un cinéaste portugais né en 1972 à Lisbonne. Il a étudié le cinéma à l’école supérieure de Théâtre et de cinéma. Il a travaillé comme critique dans la presse portugaise et écrit de nombreux textes théoriques sur le cinéma. Il réalise plusieurs courts métrages assez magnifiques (parmi lesquels Cantiques des créatures, disponible dans les suppléments du DVD de La gueule que tu mérites) qui imaginent un univers cinématographique entre fiction et documentaire, onirisme et réalisme, prose et poésie, sacré et profane. Et un humour pince sans rire qui en fait un cinéaste dandy, dans la tradition du grand João César Monteiro (auquel la Cinémathèque française rendra hommage à partir du 11 décembre avec la projection de tous ses films), mais aussi un cousin lusophone de Wes Anderson, que Miguel Gomes aime beaucoup. Autour de Miguel Gomes se créée une petite bande de jeunes cinéphiles, musiciens et cinéastes très doués, qui travaillent en général avec lui (comme le monteur et cinéaste João Nicolau) et aussi une association fructueuse avec le producteur Luis Urbano qui fonde la société de production O som e a Furia, le bruit et la fureur en hommage à Faulkner et qui produira tous ses films, en compagnie du Français Thomas Ordonneau (Shellac, justement.)

La gueule que tu mérites

La gueule que tu mérites

Nous avons souvent évoqué Ce cher mois d’août et Tabou dans ce blog, moins le premier long métrage de Miguel Gomes réalisé en 2004 : La gueule que tu mérites (A cara que mereces, photo en tête de texte) qui commence par l’histoire de Francisco, un type qui fête ses trente ans mais refuse de grandir, déguisé en cow boy au milieu d’un carnaval organisé pour des enfants dans une école…

La gueule que tu mérites est un film étrange, scindé en deux parties distinctes, la première émotionnelle, musicale, lyrique, l’autre plus aride, hermétique et théorique, sorte de huis clos rivettien dans une cabane, qui empêchera le film d’être remarqué par le public et d’obtenir la grande reconnaissance critique et internationale de ses deux films suivants, Ce cher mois d’août et Tabou. Cependant les qualités de La gueule que tu mérites attireront l’attention des observateurs du cinéma contemporain et du cinéma portugais, un des plus intelligents du monde. La suite leur donnera raison.

Dès ce premier film on retrouve certaines constante du cinéma de Gomes : l’amour des chansons tristes, des jeux de rôles et des relations sentimentales compliquées, l’humour pince sans rire et une douce mélancolie. Deux films en un, ou plutôt un film coupé en deux, c’est une idée formelle qui traverse le cinéma moderne, de Psychose de Hitchcock jusqu’à Tropical Malady de Weerasethakul. Gomes reprendra cette figure stylistique de la césure dans Ce cher mois d’août, film d’une durée 2h30 qui commence comme un essai documentaire sur un tournage et une région campagnarde et où l’histoire romanesque commence réellement au bout d’1h15 seulement. Idem pour Tabou, film coupé en deux, récit présent puis passé, portugais puis africain qui questionne l’imaginaire colonial au travers d’une passion amoureuse. Un peu par provocation, sans doute en raison de son insuccès Miguel Gomes a longtemps prétendu que La gueule que tu mérites était son meilleur film : difficile d’être d’accord avec lui, même si l’on peut penser que le film contient la plus belle scène jamais mise en scène par Gomes, son générique de début avec une chanson sublime et très émouvante.

Redemption

Redemption

Parmi les bonus du DVD on découvre Redemption, court métrage qu’on peut voir également dans une salle du MK2 Beaubourg à Paris depuis mercredi. Grand petit film constitué d’images d’archives, empruntées à des documentaires scientifiques, des images d’actualités ou de longs métrages de fiction (Miracle à Milan de De Sica) sur la quête de rédemption de trois hommes et une femme qui expriment en voix off et à des moments clés de leurs vie le besoin de se confier : Le 21 janvier 1975, dans un village du nord du Portugal, un enfant écrit à ses parents en Angola pour leur dire combien le Portugal est triste. Le 13 juillet 2011, à Milan, un vieil homme se souvient de son premier amour. Le 6 mai 2012, à Paris, un homme dit à sa petite fille qu’il ne sera jamais véritablement un père. Lors d’une cérémonie de mariage le 3 septembre 1977 à Leipzig, la mariée lutte contre un opéra de Wagner qu’elle ne peut se sortir de la tête. Ces trois personnages, les cartons de fin nous apprennent que ce sont Pedro Passos Coelho, Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, transformés en personnages de fiction avec des confessions et des biographies qui sont le fruit de l’imagination des auteurs, Miguel Gomes et Mariana Rocardo. Ce superbe court métrage a été coproduit par l’école du Fresnoy avec la participation des élèves des promotions Raul Ruiz et Chris Marker, parrains de rêve de Redemption puisqu’on pense beaucoup à eux, à leur art du montage dialectique entre l’image et le son en regardant le film.

Miguel Gomes prépare actuellement son quatrième long métrage, une version originale des 1001 Nuits coproduite par ARTE France Cinéma et ZDF, attendue pour 2015.

 

 

 

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