Olivier Père

Duel au soleil de King Vidor

Duel au soleil (Duel at the Sun, 1946) de King Vidor est diffusé ce soir sur ARTE à 20h45.

Scott Chavez est condamné à la pendaison pour avoir assassiné sa femme, Indienne, qui multipliait les aventures extraconjugales. Avant de mourir, il confie sa fille, Pearl (Jennifer Jones), à une ancienne amie, Laura Belle McCanles (Lillian Gish), installée dans un ranch texan avec son mari, Jackson (Lionel Barrymore), sénateur infirme, et ses deux fils, Jesse (Joseph Cotten) et Lewt (Gregory Peck). Pearl est fort mal accueillie par le père, mais plaît immédiatement aux deux frères.
Jesse, un gentleman, garde ses sentiments pour lui alors que son cadet Lewt, un voyou sans scrupules, cherche aussitôt à séduire la jeune fille. Aujourd’hui on parle beaucoup des tournages homériques et mégalomanes d’Apocalypse Now, du Convoi de la peur ou de La Porte du paradis qui entrèrent dans l’histoire en mettant un terme par leur désastre et leur démence aux excès du Nouvel Hollywood, mais on oublie que certaines productions de l’âge classique hollywoodien furent aussi des entreprises délirantes, hors de contrôle et dispendieuses. Sans remonter aux fameux Folies de femmes ou aux Rapaces de Stroheim ce western de 1946 compte parmi les films les plus fous jamais réalisés à Hollywood. Il n’est pas l’œuvre d’un cinéaste démiurge mais d’un producteur visionnaire porté par une double ambition : renouveler le triomphe d’Autant en emporte le vent qui lui avait apporté la gloire sept ans plus tôt, et offrir un rôle en or à sa star et épouse Jennifer Jones. Car c’est bien lui le véritable auteur du film, David O. Selznick.

Connu pour avoir épuisé trois metteur en scène et quinze scénaristes durant la longue gestation d’Autant en emporte le vent, Selznick récidive avec Duel au soleil. Après avoir engagé Josef von Sternberg pour faire des essais sur la couleur, Selznick réécrit le film au jour et jour, impose des scènes supplémentaires et se fâche avec King Vidor qui abandonnera les plateaux avant la fin du tournage.

Pas moins de huit réalisateurs se succédèrent derrière la caméra : King Vidor qui signa seul le film mais aussi B. Reeves Eason et Otto Brower (réalisateurs de seconde équipe et de nombreuses séries B), William Dieterle (qui remplacera Vidor), Sidney Franklin, William Cameron Menzies (également directeur artistique d’Autant en emporte le vent), Josef von Sternberg et David O. Selznick lui-même !

Jennifer Jones

Jennifer Jones

Création monstrueuse par son ampleur mais aussi ses thèmes (racisme, sexualité, références à la Bible) Duel au soleil demeure, malgré tout, le film d’un grand cinéaste, King Vidor, pionnier du muet qui à l’instar de Cecil B. De Mille parvint à concilier dans des westerns ou des mélodrames géniaux l’exacerbation baroques des désirs humains et les grands mouvements de foule, l’intime et le monumental. Duel au soleil est une superproduction, mais c’est son érotisme et la violence des sentiments entre les amants maudits qui impressionnent le plus, jusqu’au final apocalyptique et justement célèbre dans le désert, sommet de l’amour fou au cinéma qui annonce les chefs-d’œuvre suivants de King Vidor, Le Rebelle (1942) et surtout La Furie du désir (1952), encore avec Jennifer Jones.

Si on considère que le Pygmalion Selznick a entrepris Duel au soleil avant tout pour offrir un écrin hors de prix au talent et à la beauté de sa femme, le film est une réussite totale. Jennifer Jones est sublime dans un rôle extraordinaire de métisse à la sensualité incendiaire, et Gregory Peck formidable à contre-emploi, bien entouré par Lionel Barrymore, Joseph Cotten, Lillian Gish et Walter Huston.

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