Olivier Père

Sang pour sang de Joel et Ethan Coen

Dans le cadre de son cycle consacré aux frères Coen ARTE diffuse ce soir à 22h10 Sang pour sang (Blood Simple, 1984) après Fargo à 20h50, deux films noir emblématiques du cinéma des frères Coen. S’il est un autre premier film américain des années 80 auquel on peut comparer Sang pour sang c’est bien Evil Dead, réalisé l’année précédente par un ami et complice des frères Coen, Sam Raimi.

Les deux films ont d’ailleurs un plan en commun en forme de clin d’œil fraternel. Il s’agit pour les Coen comme pour Raimi de revisiter de la façon la plus flamboyante possible un genre de prédilection (le film d’horreur pour l’un, le film noir pour les autres) en mêlant la déclaration d’amour respectueuse à la parodie destructrice, reliées entre elles dans le même film par un goût prononcé pour l’exagération, tant thématique que stylistique. Le film des frères Coen est en tout les cas à distinguer de la mode peu convaincante du « néo polar » des années 80 et 90 que Sang pour sang anticipe et annihile à la fois.

Dès leur premier long métrage les frères Coen vont en effet se livrer à une sorte de travail « à rebours » sur le genre et ses règles établies au lieu d’en souligner l’arbitraire et la fixité. Au milieu de nulle part, un restaurateur, son épouse, son associé qui est aussi l’amant de sa femme, un détective privé répugnant et sans scrupules – inspiré par le personnage de Quinlan dans La Soif du mal… Le décor et les personnages sont connus – ils sortent tour droit du facteur sonne toujours deux fois.

Les frères peuvent ainsi nous épargner les préliminaires et plonger immédiatement les spectateurs et les protagonistes dans une spirale macabre de confusions, trahisons et malentendus meurtriers. La grande originalité des deux frères est de ne pas tomber dans le piège de l’imitation des classiques du film noir. Ainsi, tandis que la misogynie gouvernait le roman et le film noir des années 40 et 50 grâce aux personnages de garces immortalisées par Ava Gardner dans Les Tueurs ou Barbara Stanwick dans Assurance sur la mort, Abby, déjà interprétée par l’actrice fétiche des Coen Frances McDormand est de loin le personnage le plus équilibré et le plus intelligent du film – une caractéristique que les frangins reprendront dans Fargo.

Frances McDormand dans Sang pour sang

Frances McDormand dans Sang pour sang…

Ce ne sont plus les amants diaboliques qui décident de se débarrasser du mari gênant, mais l’inverse. L’inversion, une des clés de l’œuvre des frères Coen, est ici présente à la puissance carrée, puisque l’amant innocent se verra tout de même contraint d’enterrer et d’achever son rival. Avec une délectation souvent très efficace les frères Coen grossissent certaines composantes du polar qui deviendront d’ailleurs les caractéristiques élémentaires de leur personnages à venir : la bêtise, la maladresse et la malchance.

Le mari cocu, inquiétant débile, confond dans un dialogue rapporté par sa femme son cerveau et son anus ; victime de vomissements à répétition, il se révèlera incapable de mourir, comme une nouvelle preuve de sa nullité et de son incompétence. La mise en scène et notamment la bande son, extrêmement brillantes et maîtrisées, sont absolument remarquables pour une production indépendante à petit budget, et soulignent de façon ludique le confusionnisme du film. Sang pour sang est en effet une histoire de trous d’où s’écoulent la lumière, dans une scène devenue célèbre, le sang…. mais aussi le sens, comme si des tréfonds de la cinéphilie lacunaire des deux frères ne jaillissaient que des bribes de cinéma, des moments anthologiques séparés de leurs contexte et de leur signification.

... et dans Fargo, deux films à ne pas rater ce soir sur ARTE

… et dans Fargo, deux films à ne pas rater ce soir sur ARTE

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