Olivier Père

Princesse Mononoké de Hayao Miyazaki

Sur ARTE débute ce soir un mini cycle Miyazaki avec la diffusion de Princesse Mononoké (Mononoke-Hime, 1997) à 20h50. Porco Rosso et Ponyo sur la falaise suivront à quelques semaines d’intervalle.

Autant le dire tout de suite, Princesse Mononoké est un pur chef-d’œuvre, l’un des plus beaux films du cinéma contemporain, toutes catégories confondues. Avec une telle création Miyazaki dépasse en effet les frontières de l’animation dont il est rapidement passé maître à la tête de son studio Ghibli. L’ambition de Princesse Mononoké est démesurée, sa fabrication dura trois ans et mobilisa l’ensemble du personnel des studios, avec le recours pour la premières fois pour Miyazaki aux technologies informatiques, même si le cœur de son travail demeure le dessin à la main et les méthodes artisanales d’animation. Le résultat est grandiose, digne des objectifs et références assumées du cinéaste. On a souvent effectué la comparaison (juste) entre Miyazaki et Kurosawa, cette façon d’atteindre l’universel en revendiquant des racines, une philosophie et une spiritualité japonaises sans avoir peur de puiser son inspiration, parfois, dans la culture et la littérature occidentales : Kurosawa adapta Gorki, Dostoïevski, Shakespeare, Miyazaki transposa en « anime » les héros de Conan Doyle, Maurice Leblanc, Johanna Spyri et se souvint de Verne et Swift en créant ses propres univers aériens et utopiques.

Avec Princesse Mononoké la relation entre les deux génies devient plus évidente. Miyazaki décide de rompre avec l’esthétique et les histoires de Mon voisin Totoro ou Porco Rosso pour s’atteler à une création épique, sombre et violente se déroulant au Moyen-Age, et qui ne s’adresse pas seulement au jeune public.

Au XVème siècle, durant l’ère Muromachi, la forêt japonaise, jadis protégée par des animaux géants, se dépeuple à cause de l’homme. Un sanglier transformé en démon dévastateur en sort et attaque le village d’Ashitaka, futur chef du clan Emishi. Touché par le sanglier qu’il a tué, celui-ci est forcé de partir à la recherche du dieu Cerf pour lever la malédiction qui lui gangrène le bras.

Princesse Mononoké se rattache à un genre très populaire au Japon, fréquemment illustré par Kurosawa : le « jidaigeki », drame historique prétexte à des scènes de batailles spectaculaires. On pense à La Forteresse cachée – épopée médiévale qui sera aussi l’une des sources d’inspiration de Lucas pour La Guerre des étoilesLe Château de l’araignée, Les Sept Samouraïs ou à la fin de la carrière de Kurosawa, Kagemusha et Ran, tournés en couleur. Quant aux éléments spirituels, humanistes et fantastiques de Princesse Mononoké on les retrouvait aussi dans un autre grand chef-d’œuvre du « jidaigeki », Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi, l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. Le film de Miyazaki traite aussi de luttes de clans et de samouraïs à la solde de seigneurs locaux, mais c’est avant tout la composition des plans, le rapport aux paysages sauvages et aux éléments naturels qui légitiment la filiation avec Kurosawa. Elle éclaire aussi l’attachement de Miyazaki aux mythologies ancestrales nippones, notamment le shintoïsme, religion qui repose sur le caractère sacré de la nature, et définit la place de l’homme dans l’univers comme un simple élément d’un grand tout, en perpétuelle métamorphose. Le shintoïsme et Princesse Mononoké accueillent aussi une pensée animiste qui accorde une âme, une pensée vitale à tous les animaux mais aussi aux pierres, au vent, à l’eau et aux génies protecteurs qui peuplent la forêt.

 

Bien sûr que l’animation permet une poésie encore plus évidente que les prises de vues traditionnelles, libérée des contingences du réel – ou de la lourde machineries des effets spéciaux – pour délivrer en toute souveraineté des visions oniriques, magiques, éblouissantes d’action, de destruction ou de simples contemplations de décors sublimes. Il n’empêche. Malgré ses monstres, ses dieux, ses héros et ses paysages féériques, ses combats et ses poursuites c’est avant tout la beauté et l’inventivité de la mise en scène de Miyazaki, l’intelligence et la subtilité de son propos qui impressionnent. Un monde de fantaisie certes, mais aussi une pensée en marche, une vision de l’humanité qui renvoie à nos propres angoisses et interrogations. Comme Kurosawa.

P.S. Après Princesse Mononoké nous vous invitons à rester sur ARTE et à vous perdre dans une autre forêt japonaise en compagnie de deux petites filles, Yuki et Nina dans le beau film de Hippolyte Girardot et Nobuhiro Suwa dont nous avons déjà parlé ici hier. Yuki et Nina à 23h45 ce soir sur ARTE.

 

 

Catégories : Sur ARTE

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *