Olivier Père

Plein soleil de René Clément

Plein soleil (1960) est diffusé ce soir sur ARTE, à 20h45. « Le vrai tournant a été Plein soleil. C’est à la suite de la vision de Plein soleil que Visconti m’a demandé de jouer Rocco. Cela se passait en Italie, à Rome. J’ai eu un début de carrière absolument phénoménal, auquel je pense toujours. J’ai été choisi par René Clément pour faire Plein soleil, et ensuite par Visconti. Il n’y avait qu’à se laisser porter… Visconti était un metteur en scène d’opéra et de théâtre, Clément un grand professionnel du cinéma. J’ai commencé à travailler dans des conditions que plus personne ne connaîtra. C’étaient les années romaines entre 1959 et 1963, Plein soleil, Rocco et ses frères, Le Guépard. Je souhaite cela à tous les acteurs. » nous confiait Alain Delon dans un entretien à l’occasion de la remise d’un Léopard d’or spécial pour l’ensemble de sa carrière lors du Festival del film Locarno en août 2012. Plein soleil constitue en effet une date importante dans la carrière de Delon, mais aussi de René Clément qui trouve un second souffle (et aussi un point de non-retour, hélas) avec cette adaptation du roman noir Monsieur Ripley de Patricia Highsmith. C’est sans doute le sommet de l’œuvre d’un cinéaste étrange sous son faux conformisme, qui excella dans les études comportementalistes tentées par l’absurde. L’histoire policière est un prétexte pour explorer les relations perverses entre un héritier oisif et un aventurier, puis la personnalité criminelle de ce dernier, un certain Tom Ripley présenté dès la première scène comme un faussaire, un espion, un agent double sans aucun scrupule. Mais Ripley a tellement de charme qu’il est aussi le meilleur ami de Philippe Greenleaf (Maurice Ronet, lui aussi admirable) qu’il est censé espionner pour le compte de son richissime père résidant à San Francisco. Les deux larrons mènent une vie de débauche à Rome. Ripley est cependant l’objet des humiliations de Greenleaf qui le méprise car il n’appartient pas à sa caste. Un voyage en mer offrira à Ripley l’occasion d’assassiner Greenleaf, début d’un plan machiavélique où il va usurper l’identité de sa victime. Plein soleil devient alors un thriller pervers et quasi métaphysique sur le thème du double et de la disparition. René Clément marche sur les traces d’Hitchcock, mais il ne se doute peut-être pas qu’il ouvre la voie aux histoires de transfert, d’imposture et d’illusions qui seront la matière des chefs-d’œuvre d’Antonioni, lui aussi sous influence hitchcockienne. Lorsque Ripley agrandit et reproduit un nombre incalculable de fois la signature qu’il doit imiter à la perfection dans la solitude de sa chambre d’hôtel on ne peut s’empêcher de penser au développement des planches  de photos de Blow Up six ans plus tard, et Plein soleil a quinze ans d’avance sur Profession : reporter qui raconte presque la même chose. Ripley qui ne sait pas nager manque de se noyer en tombant d’un bateau comme Delon dans Nouvelle Vague trente ans après Plein soleil. C’est Delon du haut de ses 25 ans qui parvint à convaincre les frères Hakim producteurs du film que c’est lui qui devait interpréter Ripley et Ronet Greenleaf, et non l’inverse comme cela leur avait été proposé. Intuition géniale de l’acteur qui interprète à la perfection ce monstre de cynisme et de cruauté au visage angélique, dont la beauté dissimule une abyme de morale et de sens. L’opacité, le dédoublement, la solitude et la trahison accompagneront Delon et ses personnages, souvent des déclinaisons du même.

 

Plein soleil doit également beaucoup à Paul Gégauff, âme damnée de la Nouvelle Vague et scénariste de Rohmer et Chabrol, dandy droitiste et misogyne dont les aphorismes nihilistes pointent au détour de dialogues cinglants : « tout est vanité plus rien n’existe », « nous dansons mais nous ne sommes rien… »

Delon et Clément se retrouveront l’année suivante dans le charmant Quelle joie de vivre (mais ni le cinéaste ni l’acteur n’excellent dans l’humour), dans le très officiel Paris brûle-t-il ? en 1966 (Delon dans le rôle de Jacques Chaban-Delmas) et surtout dans Les Félins (1964) thriller international et à moitié convaincant (Pascal Jardin à la place de Gégauff…) qui souhaite renouer avec la perversité de Plein soleil, avec une nouvelle fois les thèmes du double masculin et de la substitution.

Quant aux derniers films policiers de Clément, empêtrés d’ambitions métaphysiques et surréalistes (références insistantes à Lewis Carroll, volonté systématique d’abstraction et d’onirisme), ils sont plutôt décourageants malgré leur recours à des stars internationales dans des rôles à contre-emploi (Charles Bronson, Marlène Jobert, Jean-Louis Trintignant, Faye Dunaway) qui participent par leur déphasage à l’étrangeté des projets, très démodés et presque invisibles aujourd’hui : Le Passager de la pluie, La Course du lièvre à travers les champs, La Maison sous les arbres, La Baby sitter. Contrairement à Jean-Pierre Melville René Clément a raté sa fin de carrière et son fantasme de cinéma stylisé et américain, mais cela n’occulte pas les grandes réussites de sa filmographie : La Bataille du rail, Les Maudits, Monsieur Ripois… et bien évidemment Plein soleil.

 

 

 

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