Olivier Père

Les salauds dorment en paix de Akira Kurosawa

La sortie en salles aujourd’hui des Salauds de Claire Denis, avec Vincent Lindon, Chiara Mastroianni, Michel Subor (distribution Wild Bunch, coproduction ARTE France Cinéma) nous offre l’occasion de revenir sur l’une des influences directes – jusque dans son titre – du film de Claire Denis, avec Sanctuaire de William Faulkner : Les salauds dorment en paix (Warui yatsu hodo yoku nemuru, 1960.)

Ce film magnifique d’Akira Kurosawa, avec son acteur fétiche Toshiro Mifune, illustre le thème de la vengeance sociale et attaque avec une virulence impitoyable le système politique et économique du Japon moderne.

Les salauds dorment en paix débute par une séquence de banquet de mariage longue d’une vingtaine de minutes. Modèle de mise en scène, elle témoigne de la fascination de Kurosawa pour les rituels et les cérémonies, qu’ils appartiennent au passé ou au présent, mais surtout de sa virtuosité narrative. En effet, la scène permet d’introduire les principaux protagonistes, et surtout les enjeux dramatiques et moraux développés tout au long du film : le mariage de la fille infirme du vice-président d’une société publique avec le secrétaire de son père, l’évocation du « suicide » d’un des employés il y a cinq ans, l’enquête sur la corruption supposée de plusieurs cadres de l’entreprise… Sont ici présentés les ingrédients d’un récit riche en rebondissements, et d’un itinéraire moral où un homme prêt à tout pour faire éclater la vérité doit remettre en question ses méthodes peu orthodoxes, et réclamer le pardon de la femme qu’il a manipulée à des fins vengeresses.

Premier titre issu de la propre société de production du grand réalisateur, Les salauds dorment en paix succède à une série de fresques historiques ou d’adaptation à costumes. Il s’agit pour Kurosawa de rompre une tentation de repli vers le passé pour poser un regard extrêmement sévère sur la société japonaise. Le cinéaste a confié qu’il avait voulu faire un film sur la corruption de la haute finance, dénoncer les exactions des grandes sociétés. Même s’il va très loin dans ses accusations, Kurosawa n’entend pas réaliser un film ouvertement politique, et emprunte la forme du récit policier. Particulièrement dense, la dramaturgie des salauds dorment en paix évoque à la fois le film noir, la tragédie et le mélodrame. Certains éléments proviennent d’Hamlet (les mises en scène du héros organisées pour déstabiliser ses ennemis et démasquer les assassins de son père) tandis que l’atmosphère générale du film fait penser à une certaine tradition du polar social. Cependant, la somptuosité de mise en scène (le film est en scope noir et blanc), la précision du cadre, la composition quasi picturale des plans n’appartiennent qu’à l’auteur des Sept Samouraïs, et démontrent s’il en était besoin que son génie d’esthète ne se limite pas à un certain talent pour la calligraphie ou la reconstitution historique.

Les salauds dorment en paix est disponible en DVD aux éditions Wild Side.

Au sujet des Salauds, on peut lire le texte ci-dessous et écouter la conversation avec Claire Denis postés au moment de la présentation du film en première mondiale au Festival de Cannes :

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2013/05/21/cannes-2013-jour-7-les-salauds-de-claire-denis-selection-officielle-un-certain-regard/

https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2013/05/23/cannes-2013-jour-9-rencontre-avec-claire-denis/

 

Vincent Lindon et Chiara Mastroianni dans Les Salauds

Vincent Lindon et Chiara Mastroianni dans Les Salauds

 

 

 

Catégories : Actualités

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