ARTE vous propose de passer la nuit avec Luis Buñuel en diffusant Un chien andalou à 0h55 et en rediffusant Belle de jour à 2h15. Deux chefs-d’œuvre. Rares sont les films d’avant-garde muets qui ont gardé intact leur pouvoir de fascination à travers le temps : Un chien andalou (1929) fait partie de ces films. Buñuel et son complice Salvador Dalí braquent leur caméra sur l’inconscient comme personne ne l’avait fait avant eux. Surgissent des images d’une violence et d’une beauté inaltérables, pour un film dont le point de départ fut deux rêves des jeunes artistes : une lune coupée par un nuage et un œil tranché au rasoir pour Buñuel, des fourmis sortant de la paume d’une main pour Dalí. Les images blasphématoires, sexuelles ou délirantes du film n’ont aucune valeur symbolique, malgré les nombreuses interprétations auxquelles elle donneront lieu, elles sont juste issues directement de l’inconscient des auteurs du film, qui font du surréalisme de manière instinctive (ils ne seront adoubés par le mouvement poétique français qu’après la projection du film à Paris.)
Un chien andalou est certes l’œuvre de deux hommes, amis qui se quitteront et ne se reverront plus. Mais Un chien andalou est avant tout l’entrée fracassante de Luis Buñuel un jeune espagnol révolté et provocateur, dans l’histoire du cinéma. Quand on lui demanda après l’une des premières projections la signification du film, Buñuel répondit : « c’est une invitation au meurtre et au viol ! » Son célèbre prologue offre une image fameuse : un œil tranché au rasoir. C’est le cinéaste lui-même qui exécute cet acte sacrilège, commis sur une jeune femme. Tout un programme : d’une part Buñuel montre l’immontrable, le jamais vu, une image obscène, un gros plan presque pornographique, en bon lecteur de Sade ; d’autre part, en crevant un œil, Buñuel s’attaque à la pulsion scopique qui est au cœur de tout spectateur de cinéma. Le regard sera souvent stimulé puis empêché dans les films de Buñuel. On ne comptera plus les personnages d’aveugles antipathiques, les blessures réelles ou fantasmées à l’œil (l’épingle glissée dans une serrure dans El, la plume aveuglant un policier dans La Mort en ce jardin) ou tout simplement une porte se fermant sur une scène érotique, privant le spectateur d’un plaisir voyeuriste (Tristana par exemple.)
De voyeurisme, de frustration et de jouissance, de sexe et de rêve il en est encore question trente-huit ans plus tard dans Belle de jour (1967), adaptation et appropriation par Buñuel et son scénariste Jean-Claude Carrière d’un roman assez classique de Joseph Kessel. On y voit même une étrange boîte d’un client japonais dont le contenu, invisible pour le spectateur, dégoûte Séverine (Catherine Deneuve). Une boîte qui rappelle celle d’Un chien andalou, accrochée au cou du personnage masculin puis abritant une main coupée. Buñuel suggère dans Belle de jour davantage qu’il ne montre, son cinéma est devenu moins agressif mais il n’a rien perdu de son mystère ni de son pouvoir subversif, ni de sa beauté surréaliste.
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