En mars 2011, Maurizio Bassi à la tête d’un groupe de jeunes cinéphiles italiens passionnés du cinéma de Daniele Ciprì et Franco Maresco lance un appel à l’opinion internationale et écrit à Aurelio de Laurentiis, directeur de la Filmauro, compagnie qui détient les droits de L’Oncle de Brooklyn (Lo zio di Brooklyn), premier long métrage des deux auteurs palermitains. Sorti en 1995 avec un fort retentissement critique, le film était invisible depuis, seulement disponible dans une cassette vidéo sortie sans sous-titres (le film est principalement parlé en sicilien) et dormait dans les caves de la Filmauro, malgré son statut de film culte. Le message a été entendu. L’Oncle de Brooklyn a été restauré, il est disponible en DVD en Italie dans une copie digne de ses grandes qualités esthétiques, et il sort enfin en France demain (distribué par E.D. Distribution, qui avait déjà sorti Totò qui vécut deux fois sur les écrans français avec succès en 2009, soit onze ans après sa réalisation.) Nous nous réjouissons de cette résurrection.
Avec leurs délires choquants, hilarants et surréalistes, davantage portés sur la création que la parodie ou l’actualité, le duo sicilien Ciprì et Maresco révolutionnent la télé italienne et deviennent de véritables phénomènes de société. Ils passent au long métrage de cinéma en 1995 avec L’Oncle de Brooklyn, comédie mafieuse interprétée par des nains, des handicapés, des vieillards plus ou moins débiles. Leur seconde réalisation, Totò qui vécut deux fois (Totò che visse due volte, 1998), les impose définitivement comme les grands auteurs iconoclastes que l’Italie n’attendait plus mais dont elle avant pourtant grand besoin. Le film est composé de trois histoires qui mêlent priapisme, folklore sicilien, mafia, météorisme, homosexualité et religion. Les deux films de Ciprì et Maresco, sous la forme de pastiches pasoliniens, sont les derniers avatars d’un cinéma régionaliste moribond. Leur projet d’associer le sacré, le sexe et la comédie basse, dans des déserts urbains d’une Palerme apocalyptique s’accompagne d’un regard décapant sur la Sicile.
Que raconte l’étrange Oncle de Brooklyn ? La famille Gemelly (Tano, ses trois fils et son neveu, paralysé et un peu fou) vit dans un vieux bâtiment délabré de la banlieue de Palerme. Deux nains, des chefs de la mafia, les informent qu’ils doivent abriter et cacher pendant quelques jours un personnage mystérieux, l’oncle de Brooklyn. Les Gemelly ne peuvent décemment pas refuser cette « faveur ». Leur invité s’installe donc chez eux. Les jours passent sans que personne ne vienne chercher cet oncle de Brooklyn qui ne mange pas, qui ne dort pas et qui ne parle pas…
Ciprì et Maresco ont décidément beaucoup de culot et d’humour. Ils ne se considèrent pourtant pas comme des auteurs satiriques, et militent pour un comique tragique, âpre et dur, typique en cela de la ville de Palerme qui reste leur principale source d’inspiration. Alors qu’on pourrait penser en regardant leurs films à Pasolini ou au Buñuel mexicain, en beaucoup plus trash et impur, Ciprì et Maresco se réfèrent essentiellement au cinéma classique américain (Ford, Walsh et Hawks) mais aussi les Marx Brothers, Keaton, Laurel et Hardy. Le recours fréquent au noir et blanc pour leurs films de cinéma, ainsi qu’à de longs plans qui mettent en scène des gags à retardement à la manière de cérémonies triviales, participent à une esthétique du dépouillement et de la pauvreté qui renvoie elle aussi à l’identité sicilienne. Ce projet artistique, qui s’intéresse au statut de l’image vidéo ou cinéma dénote dans la production italienne de son époque. Ciprì et Maresco, à la manière de Carmelo Bene avant eux, s’emparent du cinéma non pas comme d’un outil pour parler de l’Italie mais pour réinventer un médium, puiser dans la culture populaire et savante et accomplir ainsi un geste critique et politique.
L’Oncle de Brooklyn avait fait sa première réapparition publique au Festival del film Locarno en août 2011, lors d’une séance spéciale en présence de Franco Maresco, suivie d’un débat avec Maresco et le critique italien Enrico Ghezzi. La force provocatrice du film ne s’était en rien émoussée avec les ans, comme en témoignèrent les réactions scandalisées de certains spectateurs, d’origine sicilienne, reprochant au cinéaste de proposer une image guère touristique de l’île méditerranéenne ! Il faut dire que L’Oncle de Brooklyn est célèbre pour sa scène d’ouverture, un long plan séquence où l’on voit un paysan sodomiser un âne…
Pour en savoir plus sur le cinéma de Ciprì et Maresco :
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