Olivier Père

Peau d’âne de Jacques Demy

Aujourd’hui à 19h30 nous parlerons de l’œuvre de Jacques Demy à l’Institut Lumière de Lyon, avant de présenter l’un de ses plus beaux films, Peau d’âne (1970), qui sera projeté à 21h. L’hommage commencé à la Cinémathèque française à Paris se poursuit donc à L’Institut Lumière où tous les films de Demy seront montrés jusqu’au 7 juillet. Tant mieux.

Voici un extrait du livre « Jacques Demy » (éditions de La Martinière) que nous avons publié en 2010, coécrit avec Marie Colmant et avec la complicité bienveillante de la famille Varda Demy.

 

Model Shop, tourné aux Etats-Unis en 1968 dans l’euphorie exploratrice de la Californie, du mouvement hippie et de la contre-culture était finalement un film très bressonien, à la mise en scène épurée. Avec cette adaptation foisonnante du célèbre conte de Perrault, Jacques Demy réalise son film le plus enchanteur et baroque, nourri par des influences américaines et françaises, modernes et classiques. Le cinéaste injecte avec beaucoup de fantaisie sa fascination pour le pop art et le psychédélisme dans un univers médiéval rêvé par le petit garçon qu’il fut jadis. Peau d’âne est un retour à la France et à l’enfance, un voyage dans l’espace et le temps. Le film est anachronique par rapport à l’époque de son tournage. Il ressuscite un courant du cinéma français (le merveilleux) qui a toujours été marginal dans la production hexagonale. Le cinéaste s’amuse en orchestrant paradoxes, décalages, rencontres fortuites et déplacements en tout genre. Sur le plan visuel, Peau d’âne offre un mélange surprenant où se croisent l’influence de l’art contemporain, le souvenir des dessins animés de Walt Disney (plus particulièrement Blanche-Neige et les sept nains), la collision entre Andy Warhol et Gustave Doré. C’est avant tout un hommage à La Belle et la Bête, avec la présence de Jean Marais dans le rôle du roi et des citations directes aux costumes et aux décors du chef-d’œuvre de Jean Cocteau. Demy retrouve son égérie Catherine Deneuve, parfaite dans un rôle qui lui permet à nouveau d’exprimer une forme de dualité, entre lumière et ténèbres, comme dans Belle de jour mais aussi Les Parapluies de Cherbourg. La fée des Lilas, personnage de fée émancipée, élégante et tournée vers la modernité, est interprétée avec beaucoup d’esprit par Delphine Seyrig, qui trouve ici son rôle le plus mémorable entre L’Année dernière à Marienbad  d’Alain Resnais et India Song de Marguerite Duras. La popularité de Peau d’âne ne s’est jamais démentie. De génération en génération, ce véritable objet de culte, dont on connaît par cœur les chansons et les répliques, continue d’enchanter les enfants et les adultes. Le curieux assemblage esthétique et les extravagances visuelles du film semblent le protéger des modes. Peau d’âne épouse le regard d’un enfant, mais n’oublie pas les différents niveaux de lecture psychanalytique du conte. Le film traite sans embarras du tabou de l’inceste et illustre une dialectique pureté impureté qui est au cœur du cinéma de Demy. Les héroïnes du cinéaste sont en effet des princesses et des souillons, des filles mères, des putains et des amoureuses fidèles, ou des vierges qui tombent enceintes dès la première nuit d’amour. Ce jeu entre les différents états d’une femme trouve son illustration parfaite dans la scène du gâteau où Catherine Deneuve est à la fois la princesse immaculée et Peau d’âne. Réputée pour son humour et ses images féeriques, ses chansons et ses musiques délicieuses signées Michel Legrand, Peau d’âne dissimule des zones d’ombre sous les dorures et recèle des trésors de perversité.

 

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