A Touch of Sin (Tian Zhu Ding) de Jia Zhangke est le premier film génial de la sélection officielle du festival. Rien d’étonnant puisque le cinéaste chinois est l’un des meilleurs en activité, l’un de ceux qui pensent le monde et l’art cinématographique en un même geste créateur. Pourtant A Touch of Sin ne cesse de surprendre et marque un tournant dans l’œuvre de Jia Zhangke, étiqueté cinéaste rossellinien, mais rien n’est jamais si simple.
A Touch of Sin pourrait s’intituler « Histoires de la violence en Chine » : c’est presque un inventaire, à travers plusieurs récits qui se succèdent, quatre personnages et quatre provinces, des différentes formes d’exploitation de l’homme par l’homme liées au développement économique brutal de la Chine, où différentes couches de totalitarisme se superposent pour écraser davantage hommes et femmes du peuple.
Le bilan est désastreux : pays en proie à la violence, à la corruption et à l’esclavage moderne, où l’apparition des nouveaux – très – riches continue de creuser un fossé séculaire entre les classes de nantis et un immense masse humaine de misérables. Les personnages du film se trouvent acculés à des actes extrêmes et des choix sans retour. Devenir fous, se prostituer pour vivre, tuer pour survivre, ou préférer mourir. Le doux Jia Zhangke, artiste d’une infinie délicatesse dans la vie et dans ses films, se fait lui-même violence et scande A Touch of Sin de meurtres, de scènes de cruauté et brutalité. Il ne le fait pas d’une manière dégueulasse comme beaucoup de mauvais cinéastes qui glorifient de manière obscène et irresponsable ce qu’ils prétendent analyser ou dénoncer. Jia Zhangke invente une forme inédite capable d’appréhender la violence, avec des échos au cinéma de genre de Hong Kong ou des thrillers sanglants japonais, mais délestée de toute tentation spectaculaire. Une violence grotesque, froide ou chaotique. Une violence tragique et politique, présentée comme un acte de désespoir et une signe de refus. Il y a peut-être du Elephant (la version de Clarke) dans A Touch of Sin, cette façon glaçante de chorégraphier la violence, de ne rien masquer mais de se tenir à la distance juste. Aucune jouissance dans des scènes de meurtres pourtant dignes des plus grands films de genre modernes.
Nous avions défini le cinéma de Jia Zhangke comme une œuvre en perpétuelle métamorphose, qui prend le pouls de la Chine. Cela se vérifie avec ce nouvel opus qui s’apparente à un cauchemar éveillé. Mais l’homme derrière la caméra n’a jamais été aussi lucide, et maître de sa mise en scène.
Jia Zhangke, the grandmaster
Jia Zhangke, né en 1970 à Fenyang, dans la province du Shanxi, est un des cinéastes majeurs apparus à la fin des années 90, avec à peine dix films, mais autant de chefs-d’œuvre. Attentif aux métamorphoses de la Chine moderne, Jia Zhangke s’impose comme l’archiviste de l’inconscient et de l’histoire de son pays, à travers des récits qui mêlent les souvenirs personnels, le romanesque et le travail documentaire. Jia Zhangke étudie d’abord la peinture et publie un roman en 1991. Après un moyen métrage expérimental, son premier long métrage, Xiao Wu artisan pickpocket (1997), réalisé avec peu de moyens et hors du circuit traditionnel, l’impose d’emblée comme le chroniqueur sensible de la jeunesse chinoise, et l’héritier direct de Roberto Rossellini. Son deuxième, l’éblouissant Platform, observe sur une durée de dix ans le désarroi d’un groupe de garçons et de filles, dont la vie est rythmée par les chansons taïwanaises interdites et les spectacles musicaux. Rarement film autobiographique aura atteint une dimension aussi universelle. Plaisirs inconnus, nouvelle chronique provinciale, confirme la sensualité et l’intelligence du cinéma de Jia Zhangke, poète inspiré du spleen amoureux. Still Life, Lion d’or à Venise, apporte la consécration à Jia Zhangke. Cette fresque intimiste, voyage dans la vallée des Trois Gorges, en amont du plus grand barrage du monde, enregistre à la fois les profonds bouleversements humains et géographiques de la Chine contemporaine, et la quête amoureuse d’un couple. The World, est son premier film réalisé et diffusé avec l’accord de l’Etat chinois, suivi par les essais cinématographiques 24 Cities et I Wish I Knew. A Touch of Sin marque son grand retour à un cinéma de fiction, avec toujours un ancrage politique et historique très fort dans la Chine contemporaine. Mais cette fois-ci Jia Zhangke aborde de front le thème de la violence, qu’il met en scène comme personne avant lui. Le cinéaste chinois développe depuis plusieurs années un film historique d’arts martiaux à gros budget qui serait produit par Johnnie To.
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