Olivier Père

Le Gaucho de Jacques Tourneur

Sidonis Calysta édite en DVD et Blu-ray un film rare de Jacques Tourneur, Le Gaucho (Way of a Gaucho, 1952).

Rare à plus d’un titre : quasiment invisible sur les écrans grands et petits depuis sa sortie, que ce soit en France ou aux Etats-Unis ; hors du commun car il s’agit d’un western qui se déroule non pas aux Etats-Unis mais dans les pampas sauvages de l’Argentine en 1875. A notre connaissance il n’existe qu’une seule autre entreprise de délocalisation sud-américaine du genre hollywoodien par excellence, qui est rarement descendu plus bas que le Mexique : La Pampa sauvage (Savage Pampa, 1966) d’Hugo Fregonese avec Robert Taylor, film remarquable qui mériterait lui aussi une exhumation en DVD. Mais il s’agissait d’une coproduction avec l’Argentine et l’Espagne, drôle de mélange entre western européen et américain.

Le Gaucho est en revanche 100% hollywoodien, bien qu’entièrement tourné sur les lieux mêmes de l’action, les plaines désertiques de l’Argentine, à une époque où producteurs et réalisateurs américains préféraient ne pas trop s’éloigner des studios ou des décors naturels californiens. C’est Henry King qui devait mettre en scène Le Gaucho avec son acteur fétiche Tyrone Power dans le rôle titre. Le projet échut finalement à Jacques Tourneur, Français exilé à Hollywood.

Pierre Rissient qui adore Le Gaucho m’a raconté que certaines scènes ou des plans du film auraient été tournées par le médiocre Henry Levin, en l’absence de Tourneur sans doute parti soigner son alcoolisme chronique. C’est Pierre Rissient qui le dit, alors on le croit.

Il n’empêche. On croyait découvrir un titre mineur pour compléter sa connaissance de l’œuvre d’un cinéaste qu’on aime, et on tombe sur un film magnifique, sans doute l’un des chefs-d’œuvre de Tourneur, très supérieur à certains de ses films plus connus.

Gene Tierney

Gene Tierney

Le cinéma de Tourneur oscille entre l’ombre et la lumière. C’est évident dans ses films fantastiques (La Féline) et ses films noirs (La Griffe du passé) mais cela se retrouve aussi dans un film d’aventures coloré comme Le Gaucho. Sous les splendeurs du Technicolor se cache une histoire sombre et tragique, comme souvent chez Tourneur. Martin Penalosa interprété par Rory Cahloun est un « gaucho », terme qui désigne les cavaliers émérites gardiens de troupeaux de la pampa, qui obéissent à des codes vestimentaires et tribaux bien particulier. Le film est soucieux d’authenticité et fait de son mieux pour respecter le folklore argentin. Martin est un homme dévoré par sa propre violence, son sens de l’honneur et son orgueil. Comme tant de héros tourneuriens il est possédé par une force négative qui le dépasse. Sur un coup de sang il tue un homme lors d’une bagarre et se retrouve entraîné dans un camp disciplinaire, puis deviendra un bandit. Seul l’amour d’une femme (Gene Tierney) le fera rentrer dans le droit chemin et lui ouvrira les voies de la rédemption (le film se conclut sur un plan d’église.) Gene Tierney est magnifique, sublimement photographiée et le cinéaste lui consacre les scènes les plus intimes, sereines et lumineuses du film. Dans le rôle de l’adversaire de Martin, le Major Salinas Richard Boone au début de sa carrière est excellent, personnage viril d’une grande force de caractère qui comprend et respecte le gaucho malgré leur antagonisme, mais place la discipline militaire et le sens du devoir au-dessus de ses sentiments d’homme.

L’ombre contre la lumière, mais aussi la liberté contre la loi, tels sont les dilemmes esthétiques et moraux que Le Gaucho illustre avec une poésie et un lyrisme exceptionnels.

PS : La dictature péroniste s’intéressa de près au tournage du film, d’abord en essayant d’intervenir sur le contenu nationaliste du scénario – en vain semblerait-il – puis en réquisitionnant les caméras et les techniciens de la Fox et en les obligeant à rester en Argentine plus longtemps que prévu afin de filmer en Technicolor les funérailles d’Eva Perón, décédée en juillet 1952.

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