Ce soir sur ARTE à 20h50 on pourra voir ou revoir Guet-apens (The Getaway, 1972) l’un des meilleurs films de Sam Peckinpah.
Guet-apens scelle les retrouvailles de Peckinpah avec Steve McQueen, qu’il avait dirigé quelques mois plus tôt dans Junior Bonner, le dernier bagarreur sur le monde du rodéo.
Guet-apens est l’adaptation d’un roman de Jim Thompson publié en France en 1959 sous le titre « Le lien conjugal » dans la collection « série noire » de Gallimard. C’est le premier scénario du débutant Walter Hill, d’une efficacité remarquable même s’il trahit ouvertement le roman de Thompson.
Calibré comme un excellent film de casse doublé de l’équipée sauvage d’un couple de malfaiteurs poursuivi par le crime organisé et en particulier un ancien complice lancé à ses trousses, Guet-apens ne se contente pas d’être un catalogue de morceaux de bravoure réglés par Peckinpah, au meilleur de sa période formaliste et en pleine maîtrise de ses effets de montage et de ralentis. Le film regorge de scènes d’action très réussies comme le braquage de la banque, la poursuite d’un voleur dans une gare ou le règlement de compte final dans un hôtel miteux d’El Paso où McQueen élimine un à un les assaillants. Guet-apens bénéficie aussi de la présence inoubliable d’Al Lettieri en gangster psychopathe et vindicatif. Cet acteur au physique patibulaire fut abonné aux rôles de brutes et de sadiques dans les années 70 (Le Parrain, Don Angelo est mort, Mr. Majestyk…) avant de mourir prématurément en 1975.
Au-delà de ses grandes qualités de mise en scène, ce qui rend Guet-apens vraiment passionnant concerne l’étude du couple formé par Steve McQueen et Ali MacGraw, avec de curieux effets de mise en abyme. On sait que le tournage marqua le début de leur liaison passionnelle et orageuse, et il semblerait que dans une scène Ali MacGraw a réellement peur de McQueen lorsqu’il lève la main sur elle.
Au début du film Doc McCoy (Steve McQueen) est emprisonné depuis quatre ans dans un pénitencier du Texas. Le générique magistral fait comprendre au spectateur grâce au rythme du montage et la musique de Quincy Jones, superposée aux bruits de la prison, que Doc McCoy ne peut plus supporter l’enfermement et la séparation d’avec sa femme, la belle Carol (Ali MacGraw) : le générique se termine par McQueen dans sa minuscule cellule détruisant compulsivement la maquette de pont qu’il avait construite avec méticulosité. Mister Cool perd son sang-froid dès les premières minutes du film. Il demande à Carol d’aller voir Benyon (l’acteur fordien Ben Johnson), un truand notoire mais qui est aussi un homme puissant et influent, pour lui dire qu’il se met à son service à condition de le faire sortir du trou sans plus tarder (sa demande de libération anticipée vient d’être refusée.)
Si tout se passe comme prévu, Peckinpah laisse planer le doute dans l’esprit de Doc et du spectateur : Carol a-t-elle couché avec Benyon pour permettre à son mari de sortir de taule ? Lorsque Doc la remercie, elle lui répond « c’était un plaisir. » L’a-t-elle fait, et surtout, a-t-elle joui ?
Les retrouvailles émues du couple sont assombries par cette zone de mystère, plus perturbantes que les nombreuses morts violentes qui vont suivre. Cette zone de mystère, « continent noir » disait Freud, c’est la femme et sa sexualité, au cœur de nombreux films de la modernité et de la postmodernité à laquelle l’œuvre de Peckinpah se rattache. Certes Peckinpah n’est pas Antonioni, et on a souvent relevé, à juste titre, le machisme du cinéaste de La Horde sauvage, la récurrence gênante de scènes de viol dans ses films, comme si la relation à la femme passait avant tout par la violence, le mépris et l’incompréhension. Ceci dit, Peckinpah a réalisé deux films sans concessions sur le couple : Les Chiens de paille et Guet-apens, marqués du sceau du doute et de la duplicité, et certains de ses plus beaux films proposent des personnages de femmes émouvantes et fortes, comme Un nommé Cable Hogue et Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia.
Car Guet-apens est aussi une histoire d’amour et il ne faut pas négliger le romantisme de Peckinpah. L’argument trivial de la trahison de Carol se double d’une interrogation plus profonde : jusqu’où une femme peut-elle aller par amour ? Sans doute plus loin qu’un homme semble être la réponse de Peckinpah. L’apogée de la crise du couple – et sa résolution – aura lieu dans une gigantesque décharge publique, lieu symbolique de la souillure et du refoulé.
A noter que la crise conjugale de nos héros trouve un contrepoint grotesque dans le film avec le couple pris en otage par Rudy (Al Lettieri) : un vétérinaire timoré et une blonde écervelée qui humiliera et trompera de manière éhontée son mari avec le viril gangster. Ce qui aurait pu être une plage récréative dans un suspens très tendu devient avec Peckinpah un épisode à l’humour cruel et misogyne. On ne se refait pas…
J’ai vu le film grâce à une k7 vidéo dans les années 90 et l’ai fort apprécié. J’ai distingué un emploi subtil des couleurs des vêtements portés par le couple.
Doc Mac Coy uniquement en blanc ou noir ou noir et blanc. Pour signifier l’intransigeance, un esprit peu conciliant ?
Carol vêtue d’un camaïeu de beiges, allant du plus clair, écru, au brun roux plus foncé. Peuvent indiquer l’abnégation, les compromis, les arrangements…
Ce travail sur les costumes avait-il été voulu par Sam Peckimpah ?