Olivier Père

Berlinale 2013 Day 5 : Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont (compétition)

Camille Claudel 1915 raconte le début de la période d’internement psychiatrique de la sculptrice française à l’âge de cinquante ans à l’asile d’aliénés de Montdevergues, dans le Vaucluse. Camille ne s’était jamais remise de sa liaison passionnelle et de sa rupture avec Rodin. Elle avait développé une forme de maladie de la persécution en accusant le sculpteur d’avoir entraîné sa déchéance, sombrant peu à peu dans la folie. Camille Claudel passera les vingt-huit dernières années de sa vie hors du monde, parmi des malades beaucoup plus handicapées qu’elle, dans le désespoir et l’oubli. Seul son frère Paul viendra lui rendre visite jusqu’à sa mort, douze fois. Mais il ne fera rien pour la faire sortir. Camille Claudel 1915 est l’histoire de cette réclusion forcée, douloureuse et interminable.

Camille Claudel 1915

Camille Claudel 1915

Le film de Dumont montre aussi la rencontre de deux folies, celle névrotique et paranoïaque de Camille et celle mystique de Paul Claudel. Ecrivain bourgeois illuminé par la révélation de Rimbaud et de Dieu auprès d’un pilier de Notre-Dame de Paris, Paul Claudel est un personnage qui fascine Bruno Dumont tout autant que Camille, sinon plus. Comme nous d’ailleurs. Mais Paul, intellectuel, homme, s’est offert la gloire littéraire et la fortune sociale tandis que Camille, femme et artiste, croupira toute la seconde moitié de sa vie dans un asile. L’arrivée de Paul longtemps désirée par Camille et longtemps différée par le cinéaste fait basculer le film dans son dernier tiers dans une autre dimension. Dumont grand cinéaste matérialiste a souvent cherché à filmer l’indicible ou l’invisible. Or le cinéma passe forcément par l’incarnation : ici il filme la croyance du poète en inventant, lors d’une scène géniale, quelque chose de l’ordre du symptôme physique, de la bandaison musculaire qui accompagne la prière et l’écriture. Difficile à raconter, suffisamment incroyable pour déclencher un effet de sidération, cette scène montre Claudel comme un samouraï de la foi chrétienne. Il faut saluer à juste titre la transfiguration impressionnante de Juliette Binoche, première star et même première actrice à faire son apparition dans le cinéma de Bruno Dumont, qui parvient non seulement à nous faire oublier la vedette derrière le personnage, mais aussi le travail et le jeu pour ne plus montrer que l’être. Pari risqué que celui de vouloir se couler dans la méthode Dumont, mais parfaitement réussi. Jean-Luc Vincent, acteur de théâtre dont c’est la première apparition cinématographique est lui aussi extraordinaire dans son incarnation de Paul Claudel.
Austère sans être claustrophobe (les forces telluriques de la nature y trouvent leur place) Camille Claudel 1915 bouleverse, au-delà du destin exceptionnel d’une artiste déchue de ses droits humains par sa propre famille, et de son désir de créer, en raison de la mise en scène de Bruno Dumont qui accorde autant d’attention à son héroïne qu’aux autres pensionnaires de l’asile, interprétés par des vrais malades mentaux. Il les filme sans aucun voyeurisme mais avec ce qu’on pourrait appeler de l’amour. Et la beauté jaillit de tant d’innocence, de ces masques de souffrance et d’abandon, comme si ces hommes et ces femmes étaient dans l’état le plus pur de l’humanité, si loin et si proches de nous. Ils existent tous à l’écran avec une terrible intensité et beaucoup d’émotion, tout simplement parce que eux aussi, à égalité avec Juliette Binoche, ils sont.
Camille Claudel 1915 est une coproduction ARTE France Cinéma qui sera distribuée en salles le 13 mars par ARP. D’ores et déjà l’un des plus beaux films français de l’année, et l’un des meilleurs de son auteur.

Catégories : Actualités · Coproductions

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