Nagisa Oshima est mort mardi 15 janvier à l’âge de 80 ans. C’est le dernier grand maître japonais qui disparaît, mais aussi un cinéaste emblématique des nouveaux cinémas qui fleurirent dans le monde entier simultanément ou quelques années après la Nouvelle Vague française.
Enfant terrible du cinéma japonais, grand réalisateur révélé au début des années 60 mais également polémiste, essayiste et artiste engagé, Oshima a tenu dans le paysage politique et cinématographique de son pays un rôle comparable à celui de Pasolini en Italie. D’ailleurs, si c’est le mot « engagé » qui revient souvent à l’évocation du cinéma d’Oshima (notamment contre l’impérialisme américain après la guerre, contre le poids des traditions japonaises), celui d’ « enragé » est encore plus juste.
Né à Kyoto en 1932, Oshima fait des études de droit et de politique mais s’intéresse très tôt au cinéma en étant à la fois assistant sur des tournages de films de la Shochiku, critique cinématographique curieux de tout ce qui se fait de plus novateur en Europe et aussi scénariste.
Dès son deuxième film Oshima frappe un grand coup avec Contes cruels de la jeunesse (1960), brûlot agressif et désespéré qui fait sensation. Cet équivalent nippon d’A bout de souffle pour la France ou Les Poings dans les poches en Italie révèle un cinéaste qui ne tire pas un trait définitif sur un certaine formalisme hérité des studios (couleurs flamboyantes, cadrages expressifs et écran large) mais brutalise les conventions narratives et morales du cinéma japonais. Une jeune fille devient la maîtresse d’un petit voyou. Ils organisent ensemble des chantages aux automobilistes qu’elle accuse de viol. Tout cela finira très mal. Oshima, alors jeune homme en colère au même titre qu’Imamura et Yoshida, signe un film d’une violence incroyable sur le Japon de l’après-guerre. Ce titre essentiel de la Nouvelle Vague japonaise sera suivi par d’autres films remarqués en Occident grâce aux festivals et à la critique (L’Enterrement du soleil, Nuit et Brouillard au Japon, Le Petit Garçon, Les Plaisirs de la chair – photo en tête du texte -, La Pendaison, La Cérémonie) et qui enflamment les esprits par leur caractère subversif et par la radicalité de leur mise en scène.
Mais c’est grâce à L’Empire des sens qu’Oshima va connaître en 1976 la célébrité et le succès hors de son pays. Ce coup d’éclat, il le doit à un producteur français, Anatole Dauman, qui lui donne carte blanche pour réaliser un film érotique. Oshima choisit de s’intéresser à l’histoire vraie d’Abe Sada, une jeune femme qui avait assassiné et châtré son amant dans les années 30. Oshima décide de braver la censure et surtout les tabous de la civilisation japonaise en tournant pour la première fois au Japon un film avec des actes sexuels non simulés, où les poils pubiens et les organes génitaux apparaissent enfin à l’écran, habituellement dissimulés par de pudiques caches.
Énorme scandale au Japon – Oshima sera poursuivi pour obscénité et finalement acquitté après un procès de trois ans, L’Empire des sens se distingue évidemment du cinéma érotique japonais « traditionnel » mais également du « porno d’auteur » à la mode des années 70. Oshima filme avant tout l’histoire d’une passion, et en bon disciple de Bataille illustre les liens indissolubles entre jouissance et mort, crime et sexualité. Coutumier des sujets politiques et sociaux, Oshima ne se renie pas avec ce film de sexe à huis clos. L’Empire des sens est en lui-même un acte révolutionnaire, le geste d’un homme libre qui cherche à confondre, selon les propres mots d’Oshima, « rêve et réalité ». Forts de ce succès provocateur, Oshima et Dauman produisent deux ans plus tard L’Empire de la passion, envisagé comme la seconde partie d’un diptyque. Il s’agit cette fois encore de la reconstitution d’un fait divers criminel (deux amants assassinent le mari gênant afin de vivre leur amour sans entrave) survenu dans la campagne nippone au siècle dernier. Mais Oshima se refuse à la surenchère dans la représentation de la sexualité. Il est difficile d’aller plus loin que le film précédent et parfaitement vain de refaire la même chose. Oshima emprunte – en surface – un esthétisme et une narration plus classiques, puisque le récit adopte la forme du fantastique traditionnel (jeté dans un puits, le fantôme du mari revient hanter sa meurtrière) et que les images sont d’une impressionnante beauté picturale. L’Empire des sens était un film intériorisé, L’Empire de la passion est au contraire une œuvre tourné vers l’extérieur, puisque le décor (un village perdu au milieu de la nature) noie la passion physique des deux amants dans une vaste perspective cosmique et tellurique. Il est à noter que le cinéaste Koji Wakamatsu, décédé en octobre dernier, fut directeur de production sur L’Empire des sens et L’Empire de la passion.
En 1983, Oshima crée à nouveau l’événement mondial avec Furyo (Merry Christmas, Mister Lawrence), qui décrit le choc des cultures entre officiers Japonais et Anglais dans un camp de prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale, sur l’île de Java en 1942. Le sous texte homosexuel est omniprésent à propos de la fascination qu’exerce le major Jack Celliers, rebelle et ambigu, sur le rigide capitaine Yonoi qui dirige le camp, obsédé par la discipline et le respect de la tradition. Jamais un film de guerre n’a été aussi glamour puisque ce sont David Bowie et son homologue nippon Ryuichi Sakamoto qui interprètent les deux hommes en pleine surchauffe. Le fétichisme de l’uniforme, les rituels militaires, le code de l’honneur samouraï, plus de nombreuses scènes outrageusement sado-maso valurent à ce film un succès mérité. La bande originale composée par Sakamoto contribua beaucoup au culte immédiat autour de Furyo qui enthousiasma aussi bien les admirateurs d’Oshima que les nombreuses groupies des deux rock stars. Plus les amateurs de films de légionnaires et de gladiateurs.
Toujours très à l’aise dans les univers troubles et les situations sulfureuses, Charlotte Rampling est magnifique en grande bourgeoise qui prend un chimpanzé comme amant dans Max mon amour (1986), film tourné à Paris par Nagisa Oshima et écrit par Jean-Claude Carrière, en hommage à la période française de Luis Buñuel (Max mon amour est d’ailleurs produit par Serge Silberman, producteur de Buñuel mais aussi de Ran de Kurosawa.) Aucune pornographie dans Max mon amour mais un sens de l’humour surréaliste et une forme de marivaudage théâtral qui déroutèrent le public et la critique. Un film à redécouvrir. On pourrait dire la même chose de Tabou (Gohatto, 1999), testament cinématographique d’Oshima qui reprend certains thèmes de Furyo (androgynie et machisme en vase clos) et brise à nouveau un tabou, comme son titre l’indique, à savoir les pulsions homosexuelles dans le Japon féodal et en particulier chez les samouraïs réputés pour leur virilité. Tabouest un film somptueux, glacé et funèbre, hanté par la mort, la tristesse et la beauté, ce qui permit d’évoquer Thomas Mann lors de sa présentation au Festival de Cannes. Victime d’une attaque qui l’avait laissé paralysé, Nagisa Oshima avait mis fin à sa carrière en 2000 et renoncé aux apparitions publiques en raison de sa maladie. Celui que David Bowie avait désigné comme « le metteur en scène le mieux habillé que je connaisse » était également l’auteur de nombreux documentaires pour la télévision.
En hommage à Nagisa Oshima Arte modifie ses programmes et diffusera lundi 28 janvier L’Empire des sens à 22h30, suivi à 0h20 de Il était une fois… L’Empire des sens, documentaire sur le film le plus célèbre du cinéaste.
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